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Chauve-souris

La plus grande partie de mon enfance se passe à Nice. Mon père est violoniste à l’opéra, ma mère mannequin, souvent absente. Nous habitons un appartement grand et vétuste de la rue Cronstadt. Ma grand-mère paternelle habite avec nous. Elle s’occupe du ménage. J’ai treize ans, je suis élève au lycée du Parc Impérial. Je m’y rends chaque jour par le boulevard Gambetta. Puis je tourne dans les ruelles qui grimpent en escaliers entre les murs des villas. Elle me conduisent jusqu’à l’entrée du parc. Ses plates-bandes et palmiers. L’ancien palace transformé en hôpital militaire lorsqu’il s’est agi d’accueillir les trop nombreux blessés de la Première Guerre mondiale. Dans la pénombre du hall, l’impression que le sol se dérobe sous vos pieds, que vous devenez aveugles tant la lumière du dehors vous a ébloui. Le professeur de sciences naturelles fait tirer les lourds rideaux de toile noire pour nous projeter des photographies. Elles représentent des méduses, des coupes de cellules microbiennes. Le jeudi après-midi je vais assister à des concerts organisés par les Jeunesses Musicales de France. J’y retrouve un camarade. Après la sortie nous déambulons de conserve sur la Promenade des Anglais. Je parle, explique, discute, appuyant mes propos de grands gestes de la main. La taille de mon camarade est comiquement plus haute que la mienne. Les absences de ma mère se prolongent, mon père semble ne pas me voir. Je me souviens des tuyaux qui crient dans la salle de bains, la lumière qui filtre sous les portes, les chuchotements puis des sanglots, cette nuit-là. Le lendemain, très tôt, elle repart pour Rome. Assis tous deux devant le poste de télévision, nous la voyons qui s’avance à son tour sur une longue estrade. Elle porte un manteau chauve-souris et un chapeau à large bord. Parvenue au bout de l’estrade, elle pirouette, les deux bras tendus, écartés comme les branches d’un compas. Il est assez clair alors qu’elle ne reviendra pas.

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