Dans nos quartiers, près des gares, à l’entrée des hôpitaux, sous les bretelles d’autoroutes, les seules nuits où on trouve le sommeil sont celles où il pleut. Un café reste ouvert et éclairé où nous sommes quelques-uns à regarder la pluie qui balaye la rue. Nous nous racontons des histoires. Nous évoquons d’autres lieux et certaines circonstances de nos vies. Il nous arrive de douter nous-mêmes si nous n’inventons pas. Puis, à la première accalmie, une femme quitte le groupe pour rejoindre d’un pas rapide son immeuble. Elle nous fait des signes de la main en allant sous la pluie, et on sait qu’elle aura quelques heures de bon sommeil avant de reprendre son service à l’hôpital ou ailleurs. Et on sait qu’elle aura des rêves qu’elle racontera le lendemain, au café du coin de la rue où nous nous retrouvons et qui reste ouvert jusque tard dans la nuit.
Quand vous avez quitté le groupe, quand enfin vous dormez dans votre lit, vous savez que le café du coin de la rue reste ouvert et éclairé, et qu’il s’y trouve encore quelques individus semblables à vous, aussi seuls, aussi perdus, qui regardent la pluie. Ils veillent sur votre sommeil, comme à d’autres moments vous veillez sur le leur. Les hommes se tiennent debout derrière la porte vitrée, les mains dans les poches, ou même parfois à l’extérieur, quand la pluie n’est pas trop violente, quand le jour commence à se lever derrière les grands immeubles. Et bien sûr ces nuits ne sont pas toutes les nuits, elles ne sont même qu’un petit nombre de nuits parmi les autres, mais ce sont celles dont je me souviens. À partir d’un certain moment de ma vie, les autres nuits et les jours entre ces nuits n’ont plus compté. Le soleil m’a fait horreur. Il ne m’est plus resté que ces nuits pluvieuses et leurs petits matins. Et je crois pouvoir affirmer qu'il en fut de même, et qu’il en est de même aujourd’hui encore pour les autres membres de notre petit groupe. Même si j’ignore leurs noms.
(Automne 2019)
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