Accéder au contenu principal

Les visiteurs

Descendre du haut du ciel, dans la nuit, seul ou en brigade, dans un astronef rond et plat comme une soucoupe, n’était le dôme où l’on habite, le front maintenant appuyé à la vitre incassable des hublots, les yeux exorbités de désir curieux, ou sur des fusées individuelles, légères et que l’on chevaucherait comme des sorcières leurs balais, ou portés par des ailes, comme de gigantesques oiseaux armés de dents.

Descendre à la première heure d’une nuit d’automne, dans un ciel obscurci et mouillé de nuages, au-dessus des coteaux de vignes, au-dessus du bourg dont fument les cheminées, les rues désertes, les persiennes closes, au loin peut-être scintille la mer, un éclat de mer sous la lune échancrée.

Ramper et courir par les sentiers de la forêt, haletant, la langue dehors, suivre la route qui se rencontre, rouler dans l’herbe du bas-côté quand surviennent une automobile ou une motocyclette, à cause du faisceau de lumière jaune de leurs phares, plonger dans la rivière où le goujon s’alarme, glisser, nager, tousser, couler, pour parvenir enfin à embrasser une pile du pont et, à la force des griffes, par à-coups s’y hisser.

Passer le pont à l’entrée du bourg, souffler et écouter si rien ne bouge, repartir à pas souples et lents, silencieux, dont l’une reste en suspens, l’oreille en pointe, l’œil rouge tourné vers le chat qui a renversé la poubelle, ou l’ivrogne qui se retrouve assis au pied du lampadaire que sa face a heurté.

Frôler les murs de façade ou marcher au beau milieu de la chaussée déserte, dans la rue principale, la lumière des veillées filtre entre les lattes des persiennes closes, la musique des radios.

(Automne 1977)

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'école de la langue

L'être parlant est soumis à l’ordre de la langue . Il l’est depuis son plus jeune âge et jusqu'à son dernier souffle. Et il l’est quel que soit son milieu social, son niveau de culture et son désir éventuel de “faire péter les règles”. À l’intérieur de cet ordre, il trouve sa liberté mais il n’est pas libre de s’en affranchir. Pour autant, s’il y est soumis depuis toujours, ce n’est pas depuis toujours qu’il en a conscience. Le petit enfant parle comme il respire, ce qui signifie que la langue qu’il parle et qu’il entend est pour lui un élément naturel, au même titre que l’air. Et il parle aussi comme il bouge ses bras et ses jambes, ce qui signifie qu’il a le sentiment que cette langue lui appartient aussi bien que son corps. Et il reste dans cette douce illusion jusqu'au moment de sa rencontre avec l'écrit. L'école a pour mission de ménager cette rencontre et de la nourrir. Les personnes qui nous gouvernent, et qui souvent sont fort instruites, peuvent décider que...

Un père venu d’Amérique

Quand Violaine est rentrée, il devait être un peu plus de minuit, et j’étais en train de regarder un film. Le second de la soirée. À peine passé la porte, j’ai entendu qu’elle ôtait ses chaussures et filait au fond du couloir pour voir si Yvette dormait bien. Dans la chambre, j’avais laissé allumée une veilleuse qui éclairait les jouets. Violaine l’a éteinte et maintenant l’obscurité dans le couloir était complète. Et douce. Elle est venue me rejoindre au salon. Elle s’est arrêtée sur le pas de la porte. Pas très grande. Mince pas plus qu’il ne faut. Yeux noirs, cheveux noirs coupés à la Louise Brooks. Elle a dit: “Tout s’est bien passé? — À merveille. — Elle n’a pas rechigné à se mettre au lit? — Pas du tout. Je lui ai raconté une histoire et elle s’est endormie avant la fin. — Elle n’a pas réclamé sa Ventoline? — Non. D’abord, elle est restée assise dans son lit, et j’ai vu qu’elle concentrait son attention pour respirer lentement. Elle m’écoutait à peine, puis elle a glissé sous le ...

Projections du Grand Meaulnes

Augustin Meaulnes s’enfuit de l’école du village de Saint-Agathe en Sologne, où il est pensionnaire, au chapitre 4 de la première partie du roman. Nous sommes alors en décembre, quelques jours avant Noël. Et il y est de retour quatre jours plus tard, au chapitre 6 de la même partie. D’abord, il ne dit rien de son escapade. Puis, une nuit, vers le 15 février, il en fait le récit à son camarade François Seurel, le narrateur, qui est le fils du couple d’instituteurs. Et c’est ce récit que François nous rapporte, remplissant avec lui les 10 chapitres (8 à 17) qui suivent, et à l’issue desquels se clôt la première partie. Au début de ce récit (1.8), François prend soin de déclarer que son ami ne lui a pas raconté cette nuit-là tout ce qu’il lui était arrivé sur la route, mais qu’il y est revenu maintes fois par la suite. Et cette précaution me paraît de la plus haute importance, car elle est un indice. Elle s’ajoute pour donner une apparence de crédibilité à un récit qui par lui-même est in...