Accéder au contenu principal

Penny Lane

LUI: Un sideman est un musicien de jazz qu’on engage pour enregistrer avec une formation dont il n'est pas un membre permanent. C’est un bon professionnel.
ELLE: C’était un rôle pour toi.
LUI: J’aurais beaucoup voyagé. Je me serais promené à New York, Chicago, Los Angeles avec mon instrument.
ELLE: Quel instrument?
LUI: Disons un saxophone. Ou une trompette.
ELLE: Tu ne sembles pas bien fixé.
LUI: L’important est que je puisse transporter cet instrument avec moi. Dans une boîte ou un sac que je porte en bandoulière, qui ne se remarque pas trop. Et me voilà dans la ville où on m’attend. Le rendez-vous a été fixé par téléphone, plusieurs semaines auparavant, je suis arrivé par avion, j’ai dormi à l’hôtel, maintenant je prends le métro ou un taxi qui me conduit au studio.
ELLE: Ce n’est pas toi le patron.
LE TÉMOIN: Ce n’est pas lui le maître. Ce n’est pas lui qu’on verra en photo sur la pochette du disque. C’est un intermittent du spectacle, un travailleur indépendant.
ELLE: Il a dit, un bon professionnel. Payé au cachet.
LE TÉMOIN: Connu, respecté dans le métier, un excellent technicien, capable de s’adapter aux projets les plus divers.
ELLE: C’est lui qu’on appelle en dernier. Quand le projet est déjà bien ficelé. Au moment de boucler. On se dit alors qu’il manque quelque chose ou quelqu’un. Un dernier participant qui sera extérieur au groupe, extérieur au projet mais qui, par son savoir-faire, permettra que les pièces tiennent ensemble. Que la machine fonctionne. Qui fera vibrer le tout, résonner comme une cloche.
LE TÉMOIN: Un expert. Un médecin qui arrive avec sa trousse au chevet du malade. Un comptable qu’on appelle pour vérifier les comptes d’une entreprise, avant que le fisc ne s’en mêle et emporte les livres. Ou peut-être un serrurier, capable d’ouvrir les portes qu’on a refermées malencontreusement derrière soi, en laissant les clés à l’intérieur. Ou encore un perceur de coffres-forts.
ELLE: Oui, c’est cela. Un perceur de coffres-forts. Dites-moi de quel type est le coffre, dites-moi où il se trouve, laissez-moi le temps qu’il faut et je l’ouvrirai.
LE TÉMOIN: Il dit son prix. Peu lui importe ce qu’on trouvera ou qu’on ne trouvera pas à l’intérieur du coffre. Il ne veut pas le savoir. Ce n’est pas son affaire. L’affaire n’est pas son affaire. Il travaille pour ceux qui l’ont conçue. Il ouvre le coffre, on lui paye le prix convenu, il recompte les billets, puis il s’en va. Ni vu, ni connu.
ELLE: Sans aucune idée de gloire. Il est le Chat botté. Celui qui ouvre le château pour le compte de son maître, le prétendu marquis de Carabas. Celui qui se fait son valet, qui se met à son service, mais qui est plus malin que lui.
LUI: Il est celui qui opère par la ruse plutôt que par la force. Qui tend des pièges. Qui use de stratagèmes compliqués. De mille expédients.
LE TÉMOIN: Il laissera son empreinte en ce monde, mais lui s’efface déjà. Plus tard, on aura beaucoup de mal à retrouver son nom.
LUI: J’aurais voulu être le David Mason qui joue ses notes de trompette piccolo dans Penny Lane des Beatles.
ELLE: Pourquoi? Ce n’est pas toi?

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'école de la langue

L'être parlant est soumis à l’ordre de la langue . Il l’est depuis son plus jeune âge et jusqu'à son dernier souffle. Et il l’est quel que soit son milieu social, son niveau de culture et son désir éventuel de “faire péter les règles”. À l’intérieur de cet ordre, il trouve sa liberté mais il n’est pas libre de s’en affranchir. Pour autant, s’il y est soumis depuis toujours, ce n’est pas depuis toujours qu’il en a conscience. Le petit enfant parle comme il respire, ce qui signifie que la langue qu’il parle et qu’il entend est pour lui un élément naturel, au même titre que l’air. Et il parle aussi comme il bouge ses bras et ses jambes, ce qui signifie qu’il a le sentiment que cette langue lui appartient aussi bien que son corps. Et il reste dans cette douce illusion jusqu'au moment de sa rencontre avec l'écrit. L'école a pour mission de ménager cette rencontre et de la nourrir. Les personnes qui nous gouvernent, et qui souvent sont fort instruites, peuvent décider que...

Un père venu d’Amérique

Quand Violaine est rentrée, il devait être un peu plus de minuit, et j’étais en train de regarder un film. Le second de la soirée. À peine passé la porte, j’ai entendu qu’elle ôtait ses chaussures et filait au fond du couloir pour voir si Yvette dormait bien. Dans la chambre, j’avais laissé allumée une veilleuse qui éclairait les jouets. Violaine l’a éteinte et maintenant l’obscurité dans le couloir était complète. Et douce. Elle est venue me rejoindre au salon. Elle s’est arrêtée sur le pas de la porte. Pas très grande. Mince pas plus qu’il ne faut. Yeux noirs, cheveux noirs coupés à la Louise Brooks. Elle a dit: “Tout s’est bien passé? — À merveille. — Elle n’a pas rechigné à se mettre au lit? — Pas du tout. Je lui ai raconté une histoire et elle s’est endormie avant la fin. — Elle n’a pas réclamé sa Ventoline? — Non. D’abord, elle est restée assise dans son lit, et j’ai vu qu’elle concentrait son attention pour respirer lentement. Elle m’écoutait à peine, puis elle a glissé sous le ...

Projections du Grand Meaulnes

Augustin Meaulnes s’enfuit de l’école du village de Saint-Agathe en Sologne, où il est pensionnaire, au chapitre 4 de la première partie du roman. Nous sommes alors en décembre, quelques jours avant Noël. Et il y est de retour quatre jours plus tard, au chapitre 6 de la même partie. D’abord, il ne dit rien de son escapade. Puis, une nuit, vers le 15 février, il en fait le récit à son camarade François Seurel, le narrateur, qui est le fils du couple d’instituteurs. Et c’est ce récit que François nous rapporte, remplissant avec lui les 10 chapitres (8 à 17) qui suivent, et à l’issue desquels se clôt la première partie. Au début de ce récit (1.8), François prend soin de déclarer que son ami ne lui a pas raconté cette nuit-là tout ce qu’il lui était arrivé sur la route, mais qu’il y est revenu maintes fois par la suite. Et cette précaution me paraît de la plus haute importance, car elle est un indice. Elle s’ajoute pour donner une apparence de crédibilité à un récit qui par lui-même est in...