Raymond Roussel a écrit un livre intitulé Comment j’ai écrit certains de mes livres. À sa manière, j’ai voulu comprendre et dire comment j'écris mes petites histoires. Un concept me manquait. J’ai un temps flirté avec celui d’épiphanie, emprunté à James Joyce mais dont je n'étais pas certain de bien le comprendre ni qu’il correspondît à ma propre expérience en ce que, la concernant, je ne voyais rien y entrer de mystique. J’en ai donc inventé un que j'intitule “Impression Imaginaire Générative” (IIG) à propos duquel il m'a été facile ensuite d’aligner quelques propositions. Pour des raisons de clarté, j’ai donné à ma théorie un caractère impersonnel, encore qu’elle n’est fondée a priori que sur mon propre travail. Un cadre théorique plus large et plus robuste m’est fourni par le Tripode lacanien: Symbolique vs Réel vs Imaginaire. Je vois bien que le Réel ne trouve pas place dans mon schéma, ce qui n’a rien d’étonnant, mais l’opposition Symbolique vs Imaginaire me semble y apparaître distinctement.
Je ne donne pas d’exemple de fiction dont rendrait compte ma théorie. C’est qu’à peu près tous les textes que j’ai écrits me semblent l’illustrer. À titre indicatif, j’en signale deux parmi les plus récents: Une vie et L’ophtalmologue.
Mon souhait serait à présent qu’on me réponde, peut-être même (autant rêver!) qu’une vraie discussion se noue, encore que je devine l’agacement et les reproches de pédantisme que cette note a toutes les chances de susciter plutôt.
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- Les Impressions Imaginaires Génératives (IIG) sont de l’ordre de ce qu’Isidore Ducasse définissait comme “la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie”.
- Les IIG sont de l’ordre du fantasme.
- Les IIG commandent la production de fictions narratives. Elles en sont la matrice.
- Les IIG résultent de la rencontre d'images qui se surimpriment l'une sur l'autre, les images en question pouvant être visuelles, sonores ou conceptuelles (verbales).
- Une image peut être présente dans la mémoire du sujet longtemps avant qu'une autre vienne s'y superposer et donner lieu ainsi à une IIG.
- La rencontre dont résulte une IIG apparaît au premier abord comme fortuite, ce qui signifie que les images dont elle se compose contrastent entre elles, sans rapport métaphorique ou métonymique apparent.
- Les IIG n’ont pas de sens. Le sujet dans la mémoire duquel elles s’impriment peut, au mieux, nommer les images dont elles se composent, comme il peut dire, de manière plus ou moins précise, le lieu et le moment où la rencontre s’est produite, mais ce n’est pas toujours le cas, et en aucun cas il n’est capable de donner un nom (un titre) à la rencontre (ou à l’IIG) qui en résulte. Il ne sait pas ce qu’elle dit.
- L’impossibilité dans laquelle le sujet se trouve de nommer une IIG (de lui donner un titre, de lui attribuer une étiquette) lui rend impossible de la ranger dans sa mémoire, et donc d’établir une liste de toutes celles qui l’ont marqué.
- Les IIG sont soudaines. Elles marquent un instant de la conscience du sujet.
- Les IIG surviennent à l’improviste, et c’est à l’improviste aussi que le sujet s’en souviendra à divers moments de sa vie.
- Une IIG peut être douloureuse ou, au contraire, très agréable. Produire une extase. Dans le premier cas, le sujet fera tout ce qu’il peut pour la chasser de son esprit. Dans l’autre cas, il cherchera au contraire à la retenir. Et comme il ne peut pas lui donner un titre (la symboliser, la faire entrer dans un rapport Signifiant / signifié), il tentera de raconter une histoire.
- L’histoire générée par une IIG consiste à relier les images dont elle se compose, c’est-à-dire à donner à la rencontre un caractère non plus fortuit mais nécessaire.
- L’histoire peut être conçue très vite après l’événement de l’IIG. Mais elle peut l’être aussi bien des années plus tard.
- L’histoire conçue sera perçue par le sujet comme la résolution d’un problème ou celle d’une énigme.
- Dans certaines histoires, les images dont se compose l’IIG apparaîtront distinctement. L’histoire gardera alors un peu de la puissance que montrait l’IIG au moment où la rencontre (ou la collision) entre les différentes images qui la composent était encore dépourvue de sens. Dans d'autres histoires, l’IGG se sera dissoute dans le sens. Il n’en restera rien.
L’IIG pourrait être aussi « une souffrance, une joie et une souffrance » Comme dans cette scène de la Femme d’à côté où les émotions se bousculent https://youtu.be/SsVlpvgDVKs?si=cUtD9r20CieB47Ig
RépondreSupprimerOui, tout à fait. Si tu veux les laisser intactes, tu les perds. Si tu veux les retenir en racontant une petite histoire, c'est toujours déjà trop pour elles, elles perdent la puissance de leurs couleurs qui contrastaient si vivement, et dans presque tous les cas tu les perds aussi. Mais chaque fois de nouveau, il faut essayer.
RépondreSupprimerIl faut toujours leur répondre. Les IIG aiment les transmutations et les transfigurations qu’elles occasionnent. Et tous les textes de Nice-Nord me font passer par toutes les émotions de cette scène de la Femme d’à côté où Depardieu et Fanny Ardant sont violent et délicats à la fois dans la banalité du sentiment, dans la banalité de ce parking de supermarché.
SupprimerUn film que j'ai tellement aimé, comme s'il parlait de moi, et qui m'a fait tellement peur
RépondreSupprimerOui, pareil. C’est un film qui me fait pleurer pendant des jours et des jours. Eros et Thanatos comme dit Christiane Blot-Labarrère. Cette scène, je ne peux la regarder sans que les larmes m’envahissent quand la musique de Delerue entre en scène.
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