Ma cousine Marie-Claude qui dit un jour, au milieu d’un repas de famille (je devais avoir treize ou quatorze ans, et elle à peine plus vieille): “Christian, il ne marche pas, il danse”. Comme j’en ai été touché. Mais une élégance, un raffinement, qui ne s’opposent pas à la culture populaire, qui s’appuient sur elle, qui tendent à la promouvoir en la nourrissant de beaucoup de choses distinctives de ce qu’on appelle la culture bourgeoise. En la faisant échapper à tout ce qui m’a toujours paru vulgaire chez les gens riches, à ce qui est vulgaire chaque fois aussi qu’on veut montrer qu’on a des goûts élevés, qu’on est instruit.
Pourquoi j’ai été tellement sensible à La Distinction de Pierre Bourdieu. Voir aussi mon Rêve de la cellule du PCF.
Il m’arrive de dire ces derniers temps que je ne fais pas partie de ceux qui écrivent pour donner le change aux éditeurs, mais pour trouver un registre d’élégance (d’acceptation, de simplicité) qui me convienne.
Une conversation téléphonique, ce matin, avec Michel, où nous disions que les professeurs de français attendent d’abord de leurs élèves qu’ils pensent comme eux. Qu’ils partagent avec eux, non pas tant l’amour et la connaissance de la langue, que des valeurs et des goûts qui se distinguent et qui s’opposent tout à la fois à ceux du peuple et à ceux de la bourgeoisie entrepreneuriale et commerçante. Pour ma part, je n’ai rien contre la culture populaire, ni contre la culture entrepreneuriale et commerçante, et encore moins contre la culture des artistes qui ne sont pas eux-mêmes des bourgeois, ou dont il importe peu qu’ils le soient ou qu’ils ne soient pas.
Ce qu’on appelle “culture bourgeoise” n’est rien d’autre que la récupération du travail des artistes, d’un côté par les riches, de l’autre par les pédants. Car eux-mêmes ne sont jamais que des artisans en même temps que des gens du spectacle, quelque chose comme des forains (je pense tout de suite à Shakespeare, à Rameau, à Mozart, à Seurat). Aussi, lutter contre la culture dite bourgeoise revient à donner raison aux riches et aux pédants, à leur concéder que la culture des artistes leur appartiendrait, ce qui n’est pas le cas, même quand celle-ci est très savante, très instruite des auteurs anciens, de la culture classique (et là, je pense à Poussin).
Francis Ponge écrit: “Dans une gavotte de Rameau, toute la France danse, de façon à la fois noble et joyeuse, aristocratique et paysanne, enthousiaste et spirituelle: grave et gracieuse à la fois.”
Pour ma part, je veux dire que je ne vois pas bien la différence entre Raymond Chandler et Charles Baudelaire, entre John Huston et Milton Caniff, entre Bach et Thelonious Monk. Il me paraît évident que tous ces gens sont de la même famille, à laquelle j'appartiens aussi. Et que je n'ai rien de mieux à faire que poursuivre la tradition, avec les moyens qui sont les miens, avec amour et humilité.
Toujours cette écriture délicate et sensible parsemée de références culturelles fortes… un bonheur de te lire…
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