vendredi 9 août 2024

Sur la route

Il faisait nuit. Je roulais sur une route des Alpes. Je suis entré sous un tunnel et aussitôt j’ai vu la voiture arrêtée en travers de la chaussée, les phares allumés et l’homme debout devant le capot. Il pouvait s’agir d’une Ford Ranger. Le lendemain, je devais dire à la police d’Albenga que je n’étais pas sûr d’avoir bien vu mais qu’il pouvait s'agir d’une Ford Ranger, modèle Pick-up. Et l’homme n’attendait pas de secours, il n'était pas en panne. Il avait arrêté son véhicule au milieu du tunnel, il en était sorti, décidé à s’en prendre à la première voiture qui entrerait sous le tunnel, et comme c'était la mienne, il me barrait la route, vêtu comme il l'était d’une ridicule panoplie de cowboy, le Stetson sur la tête, en brandissant une arme.

C'était un pistolet mitrailleur. Ne me demandez pas le modèle, je ne connais rien aux armes. Et son visage était hilare. À la fois hilare et terrifiant. Alors, je me suis arrêté. Je n’ai pas coupé le moteur, surtout pas, mais je me suis arrêté et, pendant une poignée de secondes, je suis resté figé, les mains sur le volant. Je l’ai observé, et lui aussi ne me quittait pas des yeux. Cent mètres nous séparaient, peut-être moins, et son visage était fendu d’un grand sourire et, d’une main levée au-dessus de sa tête, il brandissait une arme de combat.

J'étais pris de terreur, je ne pouvais pas réprimer le tremblement de mes mains posées sur le volant, j’ai pensé que ce type était fou, en pleine crise de démence, qu’il ne fallait surtout pas que je m’avance, à aucun prix. Un mètre de plus, je me suis dit, et il aurait fait crépiter son arme dirigée vers moi, sans cesser de sourire. J’ai entamé un demi-tour, comme j’ai pu, la route n'était pas large, il a fallu que je m’y prenne à deux fois et, tandis que je manœuvrais, je surveillais le type dans mon rétroviseur. Je m’attendais à ce qu’il remonte dans sa voiture pour fondre sur moi en faisant crisser ses pneus sur l’asphalte, comme on voit dans les films, pour me rattraper et me dépasser, sur ma gauche ou sur ma droite, avec de brusques accélérations et coups de freins, en tenant d'une main son arme sortie par la vitre ouverte, et en tirant de courte rafales partout sur ma voiture.

Il n’aurait pas tardé à éclater mon pare-brise, me couvrant ainsi d'éclats de verre, mon visage et tout le haut de mon corps auraient été percés, ensanglantés comme ceux d'un saint martyr assailli par les flèches des centurions romains, puis il aurait fini par m'atteindre une bonne fois à la tempe, ma voiture se serait alors arrêtée, par la force des choses, et je serais tombé mort, le front posé sur le volant, comme quelqu'un qui s’incline, qui prie ou qui renonce, par la force des choses, ai-je dit encore, mais ce n’est pas ce qui est arrivé.


Il faut croire que ce n'est pas ce qui devait se produire cette nuit-là. Que le ciel en avait décidé autrement. En effet, en sortant du tunnel, je l’ai aperçu une dernière fois dans mon rétroviseur, qui riait en brandissant son pistolet mitrailleur, le Stetson sur la tête. Vous pensez bien, ai-je dit le lendemain à la police, que je ne suis pas prêt d’oublier cette image d’épouvante, ni la peur qui m’a tenu éveillé tout le reste de la nuit que j’ai passée à l'hôtel. Une fois dans ma chambre, je suis resté debout derrière la fenêtre, à guetter les SUV qui passaient lentement, comme des pachydermes un peu endormis, et dont je craignais que l’un d’eux ne se gare au pied de l’immeuble et qu’un homme en descende, pourquoi pas coiffé d’un chapeau de cowboy?

Ma chambre était au second étage d’un hôtel moderne et haut, à la façade blanche dressée devant la mer.

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