La vieillesse a sur moi un effet surprenant: celui de dédoubler mon existence. J’avais une vie, j'étais tout entier occupé par la vie que j’avais, puis je suis entré dans un temps qui est celui de la retraite, où je ne suis plus tenu par grand-chose. Et alors, je me souviens de ce que j’ai été, de ce que j’ai fait avec les personnes que j’ai aimées. Mais bizarrement, je me souviens aussi de ce que je n’ai pas été mais que j’aurais pu être, que j’ai rêvé de devenir quand j’avais seize ans. De ce que j’avais le désir et peut-être le talent de devenir et que les hasards de la vie (au moins une rencontre) ont fait que je ne suis pas devenu. Et bizarrement encore, je n’éprouve pas de nostalgie, encore moins de regret, pour la bonne raison que celui que je n’ai pas été a autant d’existence pour moi aujourd'hui, autant d’épaisseur, ou pas moins que celui que j’ai été et que, de toute façon, je ne suis plus.
Mon existence a désormais son double. Tout se passe comme si j'étais hanté par le fantôme d’un autre moi-même. Faustine me disait il y a peu qu'après la mort de sa mère, je me suis rencontré, et cette remarque m’a paru très juste, pour autant qu’elle disait que j’ai rencontré mon double. Car ce que j’ai été dans la réalité des choses, je l’ai bien été, et je n’y renonce pas le moins du monde, je ne m’en détache pas. Mais oui, j’ai désormais affaire aussi à un double. Et les petits travaux littéraires auxquels je me livre depuis quatre ans, sous le signe de Nice-Nord, m'auront servi à combiner les deux.
Magnifique texte comme toujours
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