— Et donc, elle a rappelé le détective?
Tristan Vincourt a raconté à Quentin Lazlo le premier puis le second entretiens qu'il a eus avec Sybille Antonelli, et à présent Quentin Lazlo rapporte ces propos à ses amies.
Il est avec Viviane et Edwige dans leur salon. Il fait sombre. Les couleurs des tapisseries et des meubles se brouillent. L’électricité n'éclaire que le bas des visages. La porcelaine à fleurs roses de la théière et des tasses, l’argent des cuillères et des couteaux, luisent entre les doigts. Il manque un chat. C’est Viviane qui a posé la question. Et Quentin lui répond:
— Oui, elle a dit qu’elle voulait lui remettre le cahier d’expériences qu’Hortense avait laissé chez elle. Que d’abord elle n’y avait pas songé. Qu’elle avait l’esprit ailleurs. Mais qu’il était important peut-être qu’il en prenne connaissance, qu’il voie ce que la jeune femme y avait noté au jour le jour, dans les semaines qui avaient précédé cette soirée d’octobre où elle devait trouver la mort, d’un coup porté à la tête, par une main inconnue, sur son balcon.
— Vous voulez dire qu’elle lui a remis le cahier sans faire mention de Xavier Tuchard? l’interroge Viviane.
— Visiblement, elle avait décidé de ne pas citer ce nom. Car elle savait à présent que celui-ci y figurait. Elle l’y avait découvert. Il était indiqué avec un numéro de téléphone et une adresse électronique, quelque part, perdu au milieu de notes et de dessins qui n’avaient rien à voir. Et elle raccompagnait l’officier de police à sa voiture, qu’il avait garée sur le bord de la route, quand il a fallu qu’elle dise:
— Écoutez, je ne voulais pas vous en parler, mais il y a un détail qui ne me laisse pas tranquille. Un nom figure dans ce cahier que j’ai feuilleté après votre départ: celui de Xavier Tuchard. Ce monsieur a été mon mari. C’est un chercheur en botanique. Un savant renommé. Il enseigne à l’université de Lausanne. Et du moment qu’Hortense était en relation avec lui, il aurait été naturel qu’elle me le dise. Et délicat aussi. Or, elle ne l’a pas fait.
— Le jeune officier, le pauvre garçon, a dû voir trente-six chandelles. C'était difficile à comprendre, déclare Viviane avec un grand sourire.
— En effet, il avait du mal à reconstituer le puzzle. La personnalité de son interlocutrice l’intimidait. Une femme petite, mince, d’une soixantaine d'années. Artiste, jardinière, professeure, éminemment cultivée. Qui avait voyagé partout dans le monde. Dont il avait compris qu’elle parlait plusieurs langues. Avec des yeux noisette, qui le fixaient sans aménité, comme si elle était toujours sur le point de le reprendre. C'était à peine s’il osait l’interroger. Il a bredouillé:
— Mais enfin, vous pensez que ce monsieur…?
— Je ne pense rien, lui a-t-elle répondu. Je sais seulement que nous avons eu des rapports difficiles, orageux, Xavier Tuchard et moi. Il y a eu de la violence entre nous. Et que si Hortense a été en contact avec lui, ce qui pouvait se concevoir dans le cadre de sa recherche, elle ne pouvait pas ignorer qu’il avait été mon mari. Est-ce lui qui a voulu qu’elle n'évoque pas son nom? Est-ce elle qui en a décidé ainsi? Le fait est que cette omission me fait porter un regard différent sur la personne que je croyais connaître. En qui j’avais confiance. Et que cette découverte m’attriste.
Il y eut un silence. Puis Viviane a dit, avec toujours le même sourire:
— Nous apprenons au moins une chose. Nous découvrons à cette victime au moins une qualité que personne n’avait songé à lui reconnaître jusqu’alors.
— Laquelle?
— Qu’elle était ambitieuse, la gredine!
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