- Les fictions romanesques (romans et cinéma) se déploient de manières différentes dans le temps de la lecture puis dans le souvenir. Quand je lis, je suis sur des rails, je me dirige du début vers la fin, et je découvre le paysage au fur et à mesure que j'avance. J'ai affaire à une succession ininterrompue d'informations. En revanche, quand je me souviens d'une histoire que j'ai déjà lue, il n'y a plus de rails. Je n'ai plus affaire à une succession mais à une nuée d'informations. Elles gravitent toutes ensemble dans ma tête.
- Je propose d'appeler "intrigue" le déroulé de l'histoire, et "figures" les éléments imaginaires qui la composent.
- Quand on raconte une histoire, est-ce d'abord pour son intrigue, ou d'abord pour les figures qui la composent? Et le lecteur, de son côté, est-il intéressé d'abord par l'une ou par les autres pendant le temps de sa lecture, tandis qu'après-coup, de quoi se souvient-il le mieux, de l'une ou des autres?
- L'intrigue peut se résumer. Sur Wikipédia, on trouve de bons résumés des romans et des films. Ils sont bien commodes. Tandis que les figures pourraient s'inventorier. Mais un tel travail d'inventaire paraît difficile, et il y a de fortes chances qu'il ne soit jamais satisfaisant. Il me semble (mais je me trompe peut-être) qu'on peut se satisfaire du résumé d'un roman ou d'un film qu'on trouve sur Wikipédia, tandis qu'il serait difficile de se satisfaire d'un inventaire des figures, raison pour laquelle on n'en propose pas. Et, pour autant, il me semble qu'on se souvient mieux des figures que de l'intrigue. Que leur empreinte mémorielle est plus forte.
- Si l'on songe au tripode lacanien, il me semble que l'intrigue est du côté du symbolique, tandis que les figures sont du côté de l'imaginaire.
- De quoi sont faites les figures? Bien sûr, des personnages et des lieux. Mais aussi des thèmes qui relient les personnages et les lieux. Quand Conan Doyle écrit une nouvelle aventure de Sherlock Holmes, il veut nous parler de Sherlock et de Londres, du crime et de l'enquête. Il veut investiguer une fois encore ces figures, il veut approfondir leur investigation en détaillant autrement les habitudes du détective ainsi que les différents éléments emblématiques des décors londoniens. Parce que les figures se dédoublent à l'infini. Une fois, il sera question de l'exiguïté de l'appartement de Baker Street. Une autre fois, apparaîtront dans ce décor le violon, les piles de journaux, la fumée du tabac, une seringue. On n'en finit jamais. Chaque figure explose en une pluralité de particules dont vous ne vous approcherez pas, que vous ne saisirez pas, dont vous ne vous souviendrez pas sans que chacune explose à son tour, se dédouble encore.
- L'inventaire des figures d'une histoire pourrait prendre la forme d'une carte heuristique, ou d'une simple liste hiérarchique, à la construction de laquelle pourraient collaborer ses différents lecteurs. J'essaie d'en créer une à partir d'une nouvelle du canon Nice-Nord (ci-dessous).
- J'ai dit que Conan Doyle écrit une nouvelle aventure de Sherlock Holmes en partant des figures (des topoï) qu'il connaît déjà, qui sont communes à toutes ses histoires. Cela me paraît évident. Pour autant, il me paraît assez évident aussi que l'intrigue qu'il invente va faire surgir (susciter l'apparition) de nouvelles figures qu'il n'avait pas en tête, ou dont il ne savait pas qu'il les avait en tête. Et c'est précisément en cela que consiste le côté créatif de son travail. C'est pour cela qu'il écrit chaque fois une nouvelle histoire encore.
- J'ai dit que les figures sont celles des personnages et des lieux dans tout ce qui les compose, d'humain et de non-humain, jusqu'aux conditions climatiques. Je dois ajouter maintenant qu'une action (ou une situation) peut aussi tenir lieu de figure, mais qu'alors elle se détache de l'intrigue. Je me souviens que Jean Valjean saisit par son anse le seau d'eau que Cosette doit porter et qui est trop lourd pour une fillette de son âge, mais comment et pourquoi est-il arrivé là, c'est-à-dire qu'elle place cet épisode occupe dans l'intrigue, je n'en ai plus la moindre idée.
- L'intrigue est le fil d'un collier dont les figures sont les perles. Pendant le temps de la lecture, elles s'y tiennent en rang. Mais quand la lecture s'achève, le fil se coupe, le collier se défait et elles s'éparpillent pour former une nuée ou une constellation.
- Le narrateur
- Isabelle
- Andrès
- Mathématiques
- Espagne
- Antonin
- Piero della Francesca
- Italie
- Jeunesse
- Amour
- Mariage
- Vilnius (la ville)
- La Californie
(Une fois que j'ai composé cette liste, je me demande si l'inventaire des figures n'est pas plus efficace, en tout cas plus économique que le résumé de l'intrigue. Mais sans doute est-ce parce que Vilnius est une histoire très courte.)
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