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Valeur des œuvres d'art

En quoi consiste la valeur d'une œuvre d'art? Pour répondre à cette question, je propose le schéma suivant qui distingue 3 points de vue différents:
  • V1 - Valeur d'usage
  • V2 - Valeur de témoignage
  • V3 - Valeur de modèle
V1 - Valeur d'usage. Elle tient à l'usage que l'amateur peut faire de l'œuvre dans l'ignorance, ou sans considération de la personne qui l'a produite, ni des conditions dans lesquelles elle l'a fait. Cet usage peut être hasardeux, très occasionnel, mais il peut être aussi très assidu et, dans les deux cas, provoquer de puissantes émotions. Ainsi, pour des raisons intimes, une simple chanson peut occuper une place importante dans notre vie, sans que, pour autant, nous nous soucions de savoir qui en écrit les paroles ni composé la musique.
Cette valeur d'usage est très subjective. Elle tient exclusivement à la sensibilité du récepteur (celle qu'il montre aux thèmes, au climat, au genre illustrés par l'artiste), ainsi qu'aux hasards de la vie. C'est la première approche, sauvage, instinctive, qui ne s'éduque pas, mais qui peut aussi bien se cultiver, s'aiguiser, s'approfondir tout au long de la vie.

V2 - Valeur de témoignage. Tout à l'inverse de la valeur d'usage, celle-ci concerne l'auteur. L'œuvre vaut, dans ce cas, en tant qu'elle témoigne de l'ascèse personnelle au prix de laquelle elle a pu voir le jour, en tant qu'elle atteste d'un destin hors-norme, qui fait de son auteur quelque chose comme un héros ou comme un saint.
Nathalie Heinich a montré comment Vincent Van Gogh a été célébré à la manière d'un saint laïque, dès après sa mort, par d'immenses foules venues du monde entier. Et en va-t-il autrement, d'une manière ou d'une autre, pour aucun autre artiste? L'enseignement académique fait peu de cas de "la vie de l'auteur". On ne cesse de nous répéter qu'il ne faut pas confondre l'artiste et son œuvre. Mais, quand on découvre un artiste, ne commence-t-on pas par aller consulter sa fiche Wikipedia pour savoir qui il est, d'où il vient, qui furent ses maîtres? Et, en dehors de l'école, se prive-t-on de s'intéresser à l'artiste en même temps qu'à son œuvre?

V3 - Valeur de modèle. Celle-ci intéresse les autres artistes. Elle tient aux contenus thématiques ou aux procédés formels et techniques mis en œuvre par l'auteur, dont d'autres artistes pourront à la fois s'inspirer et s'autoriser dans leurs propres pratiques. Parmi le public des théâtres, combien sont ceux qui pratiquent (ou qui ont pratiqué, ou qui pratiqueront un jour) le théâtre? Combien parmi ceux qui lisent de la poésie en écrivent-ils aussi?
Les meilleurs amateurs d'art sont les artistes eux-mêmes. Plutôt que de proposer toutes sortes d'interprétations savantes sur les œuvres, toutes aussi discutables les unes que les autres, et qui n'ont d'autre effet que d'en amortir l'impact émotionnel, encourageons les pratiques artistiques pour former à tout le moins des publics avertis.

Je rédige cette note après avoir visionné, sur Arte.tv, le documentaire en trois parties de Julian Jones consacré à William Shakespeare, et après avoir achevé la lecture du beau livre de Maïa Hruska intitulé Dix versions de Kafka.

Commentaires

  1. Je n'ai jamais éprouvé que l'intelligence d'une œuvre, de son histoire, de sa signification, ou son questionnement en ait amorti l'impact émotionnel. Le commentaire savant et l'impact émotionnel ne s'adressent pas aux mêmes régions de l'âme, qui ne se font pas concurrence et même peuvent danser ensemble. L''étude, le commentaire, sont souvent un moyen de prolonger la contemplation ou pour le dire autrement la compagnie de l'œuvre.

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    1. Je m’attendais à cette objection de ta part et j’en suis assez d’accord. Je ne nierai pas que beaucoup de critiques savants ont été de très bons et de très authentiques amateurs d’art, en tant que leurs études savantes ont affiné et affermi leur sensibilité. Je pense néanmoins qu’aujourd’hui, pour la plupart des amateurs, la précision du goût s’acquiert davantage par la pratique personnelle que par l’enseignement académique.

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    2. Je ne peux pas pratiquer à la fois la musique, la peinture, la littérature, et aussi la photographie, le cinéma, etc. J'aimerais bien au fond mais ce n'est pas possible, et le pourrais-je, la fortune m'aurait-elle procuré un loisir sans limites et des talents polymorphes, je soupçonne que ces pratiques finiraient pas se faire concurrence et que je ne donnerais à aucune la part d'attention et d'effort que chacune mérite. Alors je ne nie certes pas que la pratique d'une discipline artistique puisse servir à mieux comprendre et apprécier les autres cependant je crains que l'interdisciplinarité là court le risque de se limiter à des généralités: la liberté, la créativité, l'expression… l'émotion…. J'aime qu'on m'explique des techniques que je ne pratique pas mais dont le jouis des produits. Et lorsque je dis ici techniques, je ne parle pas seulement des techniques matérielles, disons, le placement des mains sur le piano, la maniement des intervalles, les mélanges des couleurs et les contraintes des supports, les focales, etc., je parle aussi des techniques intellectuelles, invention de formes, etc.. Je ne veux pas ici, évidemment, dire que la pratique personnelle est inutile ni même secondaire, juste qu'elle n'est pas suffisante ("à quoi?" demandera-t-on. Bonne question!).

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