Quand Bertrand et Walid se retrouvent devant la gare, déjà à la nuit tombée, quand Bertrand l’embarque dans sa voiture et qu’ils s’en vont ensemble, je ne sais pas où ils auraient pu aller ailleurs que là où ils sont allés. Bien sûr, c'était joué. Je ne sais pas ce que Walid lui aura dit pendant la brève conversation qu’ils ont eue, la veille au soir, au téléphone, quelque chose comme: “J’ai un couple d’amis qui peut m’accueillir chez eux, à Contes ou à Sospel. Un garçon que j’ai connu, qui s’est rangé. Si tu peux me conduire là-bas. Ensuite, je ne vous embêterai plus, mais sur la route tu me donneras des nouvelles des autres”. Et Bertrand, de son côté, a-t-il pu le croire une seule seconde?
D’abord, quand il lui a parlé au téléphone, et encore quand il est monté dans la voiture, Walid n’a pas fait mention de leur destination réelle. De là où il le conduisait. C’est ensuite seulement, au tout dernier moment, comme ils traversaient le quartier de Bon Voyage et qu’ils s'apprêtaient à s'engouffrer dans la vallée du Paillon qui file tout droit vers la montagne, Walid a dit: “Tourne là!
— Où ça, là?
— Là, tout de suite à droite!
— Tu veux monter aux Liserons? Tu veux m’emmener aux Liserons? C’est pour cela que tu m'as fait venir?
— J’ai des gens à voir. J’en ai pour dix minutes. Je les vois et on repart, tu n’as pas besoin de sortir de la voiture. Je t’assure, fais-moi confiance. Après, je serais tranquille!”
On appelait “Les Liserons” une cité d’immeubles blafards bâtis sur une butte, à l'écart de la ville. On y accédait par une route étroite et sinueuse qui conduisait à une placette, au milieu des immeubles, et on ne pouvait en repartir qu’en faisant demi-tour. Le point de deal avait l’avantage que la police y était annoncée, à chacune de ses interventions, par des guetteurs postés au carrefour.
Bertrand a tourné le volant, ils sont montés. Walid a tapé sur son téléphone un message qui annonçait leur arrivée. Bertrand a arrêté la voiture, Walid en est descendu. La placette était mal éclairée. Il a marché vers une bouche d'ombre qu’il devait connaître. Deux hommes en sont sortis, les mains enfoncées dans les poches de leurs blousons, le capuchon sur la tête. Ils se sont arrêtés. Walid s’est arrêté aussi. Il leur faisait face. Quelques mots ont pu être échangés, qu’on ne saura jamais, puis Walid a fait le geste qu’il ne fallait pas. Alors, les coups de feu ont crépité. Ils étaient tirés de l'arrière. Du fond de l’ombre. Ils ont atteint en même temps Walid et le pare-brise de la voiture qui a éclaté devant le visage de Bertrand.
Quand les policiers sont arrivés, quelques minutes plus tard, ils ont découvert les deux cadavres et, dans la main de Walid, il y avait un pistolet de gros calibre.
“Sommes-nous certains que c'était le sien? Sommes-nous certains qu’il n’a pas été mis dans sa main après qu’il était mort?”
J’avais annoncé à Amina que je repartirais le lendemain. Nous nous sommes retrouvés, après son travail, sur la Coulée verte. C'était le printemps, des centaines d’enfants jouaient sous les jets d’eau. J’ai dit: "C'est ce que j'ai voulu vérifier encore une fois. Mais l’arme en question n’est pas de celles qu'utilisent ces gangs. C’est un modèle ancien, une pièce de collection. Et puis surtout, il y a ce que montrent les caméras de surveillance, ou ce qu’elles ne montrent pas. Parce qu’elles ne montrent rien. Après les tirs et avant l'arrivée de la police, la place est restée déserte, personne ne s'est approché des corps.”
Elle a hésité. Elle a fait quelques pas, la tête baissée, puis elle a dit: “Et en sortant cette arme de sa poche ou de sa ceinture..."
Il fallait en finir. J'ai dit: "Votre frère savait qu’il était mort.”
Elle a hésité encore, puis elle a dit: “Et il savait que Bertrand mourrait aussi. En plus du chagrin, il faut que j’aie honte.”
J'ai failli ajouter que le chargeur du pistolet de Walid était vide. Et puis, j'ai préféré me taire.
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