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L'église

J'étais parti trop loin. Après, il fallait revenir.

Le pire, je n'étais plus tout à fait sûr de l’adresse de mon hôtel, ni même de son nom.

J’avais dîné dans une taverne au plafond voûté. La lumière était insuffisante. Je voyais mal ce qu’il y avait dans mon assiette. Après, j’ai voulu marcher pour digérer ce repas trop lourd, et c'est ainsi que je me suis perdu.

J'ai rencontré une fête foraine. Dans toutes les villes où je me suis perdu, je rencontrais les mêmes décors. C’étaient chaque fois des villes différentes mais les décors étaient toujours les mêmes.

Avez-vous remarqué que, dans une ville, les tramways sont tous pareils, ce qui vous donne l’impression qu'il n'y en a qu’un, que c’est toujours le même? Quand il passe devant vous, il ne va pas très vite. Une allure de père tranquille. Les habitacles qui défilent dans la nuit n’abritent que de rares passagers qui somnolent. Et dans ce cas comment se peut-il que le même véhicule soit partout à la fois?

J’ai parlé de la fête foraine. Une autre fois, dans une autre ville, c'était un carnaval. Mais j’ai eu tôt fait de m'éloigner de la foule. De ses guirlandes, de ses rires et de ses masques.

Le bout de ma course m’amène presque toujours à un port. C’est là, sur les quais, que j’attends que le jour se lève. Parfois, ce n’est pas un port, c’est un canal, avec juste un cabaret en bois, un troquet famélique où j’entre pour me réchauffer et pour me sécher de la pluie en buvant de petits verres de rhum, près du poêle. Ici, sans rien dire, en continuant de boire, je peux attendre le lever du jour sans embêter personne.

Mais je veux surtout parler de l'église, et de la musique qu’il m’est arrivé d’entendre près de l'église.

Plutôt qu’une église, une cathédrale. Un bâtiment ancien et imposant, aux portes fermées, aux vitres éteintes, dont je ne perçois que le poids de pierre, que la masse. Et, sur la place vide, devant la façade, un clochard assis par terre, les jambes croisées, qui joue et qui rejoue sur un pipeau les premières notes de l’Hymne à la joie.

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