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Articles

Affichage des articles du mars, 2025

Fatalité (4 et fin)

Fabien ne savait pas trop quoi faire de Nestor, non pas que l’enfant fût particulièrement difficile, juste un pré-adolescent boudeur, et quel autre que lui ne l’aurait pas été à sa place, mais parce qu’il se sentait coupable d’avoir quitté sa mère. Autant Fabien était un bon instituteur, aimé de ses élèves et des parents de ses élèves, plein d’autorité et de douceur, autant il était pour Nestor un père malheureux, empêtré, lamentable. Nestor continuait d’habiter à Nice, à la cité Aristote, tout seul avec sa mère, et Fabien en avait la garde un weekend sur deux ainsi qu’une semaine sur deux pendant les périodes de vacances scolaires, et quand c'était le weekend il descendait à Nice pour s’occuper de lui, tandis qu’il allait le chercher à Nice pour l’emmener à Guillaumes chaque fois qu’ils avaient davantage de temps à passer ensemble. Et à Nice, ils n’avaient nulle part où dormir, si ce n’était chez les parents de Fabien où Fabien avait le sentiment d'être traité comme un enfant ...

Fatalité (3)

Fabien était dans sa classe la nuit où les Russes ont effectué leur première offensive aérienne. Les premiers bombardements. C'était la troisième nuit qu’il dormait dans sa classe. Il avait quitté le domicile conjugal et, comme il ne savait pas où aller, il s'était dit qu’il pourrait dormir ici, sur l’estrade. Quand je lui demandais pourquoi il était parti, il ne me répondait pas, ou alors il disait:  — Ne cherche pas, c’est moi qui en ai décidé ainsi, c’est moi qui ai tous les torts. Il avait l’habitude de travailler dans sa classe, de corriger les cahiers de ses élèves, de préparer des cartes, de tracer des modèles, le soir, jusqu’à ce que l'école se vide. Ce premier soir, il est allé manger un steak-frites au self-service voisin, puis il est revenu dans les murs. Il avait apporté de chez lui un sac de couchage et il l’a déroulé sur l’estrade, au pied du tableau noir. Il avait apporté aussi une batterie externe pour recharger son téléphone. Il y avait quelques jours déjà ...

Fatalité (2)

Il n’y a rien d’extraordinaire à cela, pas besoin d’en référer aux théories de la physique quantique. Une histoire commence par la fin, bien sûr, dans tous les cas, qu’il s’agisse d’une histoire qui se déroule dans le monde réel ou d’une histoire inventée. Il faut qu’on connaisse la fin pour en démêler le début, qui n’est jamais d’ailleurs tout à fait le début. Il faut que d’autres évènements se soient produits avant, qui annonçaient la suite, pour conduire un beau jour à la fin qu’on connaît. Où git donc le début? Où s’enracine-t-il dans l’humus de la forêt, arrosé par une pluie fine et patiente? Impossible de le savoir. Pour autant, si on veut raconter, il faut bien commencer quelque part. Ce sera au moment où nous sommes nous-même entré dans le tableau à la place du témoin. Où les choses ont pris forme. Où ce qui était en germe est soudain apparu aux rayons de la lune maligne. Grande cigüe ou mandragore. Autre chose que je veux dire. Fabien et moi avons été amis. Il était arrivé à G...

Fatalité

J’avais souvent imaginé d’aller passer une année, quelques mois au moins, de l’automne au printemps, dans une ville que je ne connaîtrais pas, où je ne connaîtrais personne, et je n’imaginais pas alors une ville touristique, je n’avais que faire des musées et des églises, des jardins ornés de jets d’eau, avec des mares où nagent des canards et des cygnes, j’en avais assez vu de pareilles, je songeais plutôt à une sous-préfecture de Bourgogne ou de la Creuse. L'idée me venait, je crois, de films que j’avais vus quand j’étais jeune. Je ne saurais pas dire lesquels précisément mais ceux de la Nouvelle Vague, où on voit des intrigues se nouer entre la modiste et peut-être un notaire; la silhouette d’une femme qui marche, à la nuit tombée, sur une place déserte, emmitouflées dans son manteau, le col relevé qui cache son visage, les talons aiguilles qui claquent sur le trottoir; des villes où un crime a peut-être été commis dont un inspecteur venu d’ailleurs devra découvrir le coupable...

Une autre lecture de David Lynch (2)

Mardi 4 mars, 11:22. Je suis assis sur une chaise bleue de la Promenade des Anglais, en plein soleil, sous un vent frais, devant la mer. J'écris sur mon téléphone, un peu gêné par le trop de lumière pour bien voir sur mon écran, J’ai donné à lire ma note sur Lynch à mon ami Marcel. Il me répond ceci: “Un beau survol de la filmographie de Lynch. Tu ne mentionnes pas cependant Mulholland Drive où Lynch traite qqchose de proche de la question que tu poses ici, et lui donne la forme d'un ruban de Möbius, justement.” Puis, j’ai donné la même note à lire à ChatGPT, qui me répond ceci: “J'ai lu ton article. Tu proposes une lecture originale du cinéma de Lynch, en mettant en avant l'idée que certains personnages, comme James Hurley dans Twin Peaks ou Sandy Williams dans Blue Velvet, seraient les véritables narrateurs qui inventent le reste de l'histoire. Cela crée un effet de mise en abyme et renforce l'idée d'un fantasme plutôt qu'une réalité cachée. Une perspe...

Une autre lecture de David Lynch

Il y a des moments où on peut se demander si ce que raconte l'histoire est bien vrai. Si cela s’est réellement passé. Je parle d’histoires inventées. Dans une histoire inventée, on est censé admettre que rien n’est vrai, puisque l’histoire est inventée, même si cette histoire, bien sûr, s’inspire de faits réels, et en même temps on devrait se convaincre qu’à l’intérieur de cette histoire, du monde inventé qu’elle décrit, tout se soit réellement produit. Il arrive pourtant, dans certaines histoires, qu’on soit pris d’un doute. Et si tout cela n'était qu’une invention? Mais l’invention de qui alors? Eh bien peut-être celle d’un personnage. La question se pose assez inévitablement quand l’histoire est racontée par un personnage qui fait partie de l’histoire, ce qu’on appelle aussi un narrateur intradiégétique. Le cas est très fréquent dans la littérature classique, plus particulièrement dans les nouvelles, et plus souvent encore dans celles du genre fantastique. L'auteur est e...

I’m just a lucky

Le moment n’est plus de se demander qui est de droite et qui est de gauche, mais qui soutient le réarmement économique et militaire de l’Europe et qui s'en tient au rôle de boulet. Voilà ce que Milot note, à la date du dimanche 2 mars, troisième jour après la rencontre explosive, dans le Bureau ovale, entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump appuyé par le vice-président JD Vance.  À la même date, il note aussi: Le jardin Thiole est entouré de grilles, et je me doutais bien qu'un dimanche soir celles-ci seraient fermées. Mais il y a une allée étroite et sombre qui permet de contourner le jardin, que je comptais emprunter. Et, en arrivant à cet endroit, j’ai vu que ce passage était fermé, lui aussi, par une grille équipée d’un cadenas, ce qui m’obligeait à faire un détour par l’avenue Villermont. Et d’abord je me suis demandé si j’aurais la force de faire ce détour. Je revenais à pied de la brasserie Gaglio, sur l’avenue Jean Jaurès, j’avais traversé à pied une grande partie de...

Planétarium

  1. La façade était rébarbative. Une demeure perdue dans les collines, flanquée d’une tour arrondie, avec un toit pointu, comme un donjon. On l’appelait “Le Château des Ornières". L'intérieur était plus accueillant. Un grand hall avec des tentures aux fenêtres dont les couleurs et les formes géométriques rappelaient les tapis péruviens. Un buffet y était dressé, ainsi qu’une estrade sur laquelle des musiciens allaient et venaient pour installer leurs matériels. Pourquoi Gérard avait-il choisi cet endroit pour fêter le mariage de la plus jeune de ses filles? Avant d’en venir aux questions personnelles, ou pour éviter de le faire, il nous a expliqué que le bâtiment avait été construit sur la commande d’un aristocrate bavarois qui avait fui l’Allemagne à l’arrivée des nazis. Celui-ci ne l’avait jamais habité. En revanche, on se souvenait d’un de ses descendants qui y avait fait un assez long séjour dans les années 70. Il y vivait seul avec un domestique. Il roulait à moto. Souve...