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Affichage des articles associés au libellé Apparitions

Le Sud

Les dimanches de printemps reviennent chaque année. Cela ne manque pas. Ils le font depuis si longtemps. Toujours avec la même ostentation. Le même toupet. Comme s’ils ne savaient pas, qu’ils ne voulaient pas savoir. Des dimanches où soudain, dès le matin, les rues se vident. Non pas que les habitants se cachent mais parce qu’ils sont partis, pas bien loin, d’où ils reviendront le soir, le nez rougi par le soleil, et je crois savoir où ils sont allés. Parce que je me souviens y avoir été, il y a bien longtemps, ou peut-être que j’invente. Souvent je ne sais plus si je me souviens ou si j’invente, ou si peut-être j'ai rêvé. Ce n’est pas que cela fasse une grande différence, c’est la violence des images plutôt qui m’émeut. Leur précision et leurs couleurs si vives. Se peut-il qu’attachées à ces images, j'aie des histoires à raconter. Et ce n’est pas non plus que je tienne à raconter des histoires mais les images ne se racontent pas. Elles apparaissent derrière vos yeux, comme pro...

L'oiseleur

Pour l'attraper, inutile de lui courir après Vas te poster plutôt en un certain endroit qui lui est familier, cache-toi sous les branches et ne respire plus qu'à peine. Attends le temps qu’il faut et ensuite, quand il passe, le geste prompt, décidé, sans le blesser pourtant, à toi le bonheur de prendre entre tes mains la tiédeur  de son cœur qui palpite rouge sous la cendre

L’odeur du café

Parvenu sur la crête, j'ai aperçu la mer au loin, en contrebas. Ce n'était qu'un éclat de mer, une faible irisation dessinée par un rayon de lune, dans un ciel où flottaient des nuages, mais je ne doutais pas que ce fût elle. Il me suffirait désormais de descendre dans sa direction, par les chemins que je rencontrerais, encore que je ne pouvais pas prétendre l'atteindre d'une seule traite, plusieurs dizaines de kilomètres m'en séparaient encore, et pour l'heure j'étais recru d'avoir marché depuis l'aube. J'en étais à mon troisième jour de randonnée, et je savais depuis le matin que je m'étais perdu, mais je ne m'en étais pas inquiété, le ciel était serein, mes jambes étaient solides, j'avais voulu profiter de cette dernière journée de marche avec toute la force et l'insouciance dont j'étais capable, comme d'un cadeau de la vie, et puis la nuit était venue. Et, à présent, j'aurais voulu dormir, mais le ciel se couvr...

Un petit chien dans l'ascenseur

C’était au tout début des années 80. Nous habitions au troisième étage d’un immeuble ancien, au 31 bis (Palais Fontana) de la rue Michel-Ange. Un matin, sorti sur notre palier, j’ai appelé l’ascenseur et, quand la cabine s’est ouverte, j’ai trouvé un petit chien tout seul qui jappait à l’intérieur. Il ne semblait pas vouloir en sortir, alors je suis entré dans la cabine avec lui, et nous sommes descendus ensemble. Quand nous sommes arrivés au rez-de-chaussée, je suis sorti de l’immeuble et le chien m’a suivi jusqu’au coin de la rue. Deux hommes marchaient alors dans notre direction, d’un pas rapide. Aussitôt qu’ils nous ont vus, ils ont paru ravis, ainsi que le chien qui jappait de plus belle, mais cette fois d’un air joyeux. Ils m’ont remercié d’avoir retrouvé leur animal. Je n’ai su quoi répondre. Fallait-il que je leur parle de l’ascenseur? L’explication aurait été trop longue et sans doute peu crédible. Je me suis abstenu. Le trio est parti de son côté, et moi du mien.

Au soir d'un épisode méditerranéen

Ne te soucie pas de ce qu'ils disent ni de ce qu'ils disent pas parce que tu es vieux La mort n'est pas ton ennemie  elle viendra à son heure fidèle douce et aimante tu pourras te reposer Alors ton enfance te sera rendue Alors tes amours te seront rendus Tu pourras visionner autant que tu voudras Blow UP Blade Runner et Eyes Wide Shut sans payer Les jeunes femmes d'Éric Rohmer te parleront de leurs amours elles te tiendront la main Ferme les yeux Les herbes au vent seront tes cheveux  (Cover Tristan Corbière)

Who By Fire

LE TÉMOIN: Son père ne croyait en rien. ELLE: Son père doutait que des hommes aient marché sur la lune, jusqu'à son dernier jour. Il doutait même que les avions décollent et atterrissent. Il doutait de tout. Il ne voulait croire en rien. LE TÉMOIN: Il avait peut-être des raisons pour cela. Son enfance algéroise. ELLE: Il appartenait alors à la communauté la plus pauvre, celle des pêcheurs de coraux, venus en balancelles de la côte amalfitaine, et que des prêtres catholiques prenaient sous leur protection. LE TÉMOIN: On imagine la protection. On en imagine le prix. ELLE: Il parlait de tiroirs remplis de billets de banque dans lesquels ces enfants, des garçons, pouvaient se servir pour nourrir leurs familles. LE TÉMOIN: On imagine le prix. ELLE: Taisez-vous! Il n’aurait pas voulu qu'on dise le prix. Il avait honte. LE TÉMOIN: Je comprends. Je respecte. Mais désormais, il ne croyait plus en rien. ELLE: Si, il croyait encore à quelque chose. LE TÉMOIN: À quoi? ELLE: À la voix de l’...

Silhouette effacée

Parfois, je vais si loin à pied que je n’ai plus la force de revenir. Il faut que je sois sur la ligne du tramway. Je monte alors dans le premier qui passe, où je resterai debout, dans une voiture qui se vide au fur et à mesure qu’on grimpe vers les quartiers nord. Là-haut, c’est la nuit, dans une rue déserte où les colombes roucoulent dans les arbres.

Lived In Bars

LUI: On voit pulluler, sur Instagram, d’étranges objets numériques qu’on désigne sous le nom reels , qui font s’enchaîner des pages dont le nombre ne dépasse guère, le plus souvent, la demi-douzaine. Et sur chaque page, il y a une image, fixe ou animée à laquelle bien souvent on superpose un texte. Et à tout ceci, assez souvent, on superpose de la musique. Le tout prenant la forme d’un petit film, dont la durée ne dépasse pas quelques secondes, avec cette différence encore que les pages se présentent en format vertical, qui est habituellement celui du livre, plutôt qu’en format horizontal, qui est celui des écrans de cinéma. Et un autre point important est que ces petites machines se composent d’images et de textes produits par l’auteur, mais aussi d’emprunts, ceux d’images ou de textes récoltés sur la toile, si bien que, dans la musique, on peut reconnaître une chanson des Beatles et, qu’entre deux images originales, inconnues jusqu’alors, on peut voir apparaître un tableau du Caravag...

La place du marché

Nous étions partis de Venise en fin de matinée. Nous avions décidé de nous arrêter pour déjeuner à une soixantaine de kilomètres de là, dans une ville historique, peu importe laquelle, je ne dirai pas son nom. Une ville où nous n’avions jamais été, ma compagne ni moi. C’était le printemps, un ciel couvert, une chaleur lourde. Nous sommes arrivés à pied sur la place du marché. Elle était entourée de bâtiments anciens. Le marché était sur le point de finir et il s’est mis à pleuvoir. Nous aurions voulu acheter de la charcuterie et des fromages pour les ramener chez nous, mais nous arrivions trop tard. Les tréteaux étaient démontés, un à un, les marchandises transportées à l'intérieur des camionnettes. Des goélands criaient et battaient des ailes. Ils pillaient avec leurs becs un sol jonché de détritus. Nous nous sommes mis à la recherche d’un restaurant. Nous avons marché dans une galerie à colonnades, jusqu'à en trouver un, à la devanture de bois ornée de céramiques, qui parais...

Penny Lane

LUI: Un sideman est un musicien de jazz qu’on engage pour enregistrer avec une formation dont il n'est pas un membre permanent. C’est un bon professionnel. ELLE: C’était un rôle pour toi. LUI: J’aurais beaucoup voyagé. Je me serais promené à New York, Chicago, Los Angeles avec mon instrument. ELLE: Quel instrument? LUI: Disons un saxophone. Ou une trompette. ELLE: Tu ne sembles pas bien fixé. LUI: L’important est que je puisse transporter cet instrument avec moi. Dans une boîte ou un sac que je porte en bandoulière, qui ne se remarque pas trop. Et me voilà dans la ville où on m’attend. Le rendez-vous a été fixé par téléphone, plusieurs semaines auparavant, je suis arrivé par avion, j’ai dormi à l’hôtel, maintenant je prends le métro ou un taxi qui me conduit au studio. ELLE: Ce n’est pas toi le patron. LE TÉMOIN: Ce n’est pas lui le maître. Ce n’est pas lui qu’on verra en photo sur la pochette du disque. C’est un intermittent du spectacle, un travailleur indépendant. ELLE: Il a di...

Blind Willie McTell

LUI: Elle s’appelle Viviane. Elle travaille Porte de Bercy et elle habite rue Caulaincourt. Le soir, elle quitte son bureau à cinq heures et elle rentre chez elle en métro. Elle est rendue une heure plus tard. Hector est alors à la garde de Maïa, qui est allée le chercher à l’école, qui l’a ramené à la maison, qui l'aide à faire ses devoirs, à prendre son bain, qui l'autorise à regarder un ou deux dessins animés à la télévision dans l’attente du retour de sa mère. Mais avant de monter chez elle, au troisième étage où elle habite, Viviane doit faire quelques courses. Michel assure les courses hebdomadaires au supermarché. Chaque samedi matin, il remplit un caddie. Viviane les complète par des achats qu’elle fait, le soir, dans les petits commerces du quartier: des légumes, des fruits, du fromage, des yaourts. Puis, elle prépare le repas en attendant le retour de Michel. Ce moment, au pied de son immeuble, dans les rues alentour, est important pour elle, parce qu’elle mesure al...

The House of the Rising Sun

LUI: Durant cette période, il fréquente les surprises-parties. Mais il le fait en dilettante. Il en repart le premier, sans embarquer personne. Et, quand il s’en va, il entend encore les chansons sur lesquelles on a dansé. Et quand il est vieux, qu’il y repense, il se dit que ces chansons ne correspondaient jamais tout à fait avec son état d’esprit du moment. Qu’elles racontaient toujours une autre histoire, et que cette autre histoire se superposait à la sienne. LE TÉMOIN: Il ne dit pas pourquoi il en repartait le premier. Il passe tout de suite à autre chose. ELLE: Il en repartait le premier parce que la jeune fille dont il était amoureux ne fréquentait pas les surprises-parties. Elle appartenait à un tout autre milieu. Elle fréquentait plutôt les cellules des Jeunesses Communistes. Depuis l’enfance. LE TÉMOIN: C’est nouveau, ça. ELLE: Non, c’est ancien. LUI: Nous appellerons Arsène le garçon en question. ELLE: Et nous appellerons Elvire la jeune fille. LE TÉMOIN : Arsène et Elvire. ...

Here Comes The Sun

LUI: Il y avait toujours la possibilité de partir à la montagne. Parce que la montagne était toute proche. À l’époque, je n’avais ni voiture ni moto, mais il suffisait de monter dans un autobus et, en deux ou trois heures, tu étais au milieu des cimes. ELLE: Tu l’as fait souvent? LUI: Depuis les années de lycée, nous montions faire du ski, mais c’étaient alors des sorties organisées. Nous remplissions des bus. Ces sorties nous ont habitués à la montagne. Elles nous l’ont rendue familière. Mais les escapades dont je parle étaient d’un genre très différent. Il s’agissait de s’absenter. ELLE: Tu veux dire que tu partais seul? LUI: Oui, je partais seul et je n’allais rejoindre personne. ELLE: C’était une habitude? Cela t’est souvent arrivé? LUI: Oh, non. Trois ou quatre fois peut-être. Et des fois que je confonds. La première, c’était pendant mon année de Terminale. J’étais encore lycéen. J’étais parti au tout début du printemps. ELLE: Et tes parents ne se sont pas inquiétés de te voir par...

La pluie

La pluie rend plus facile et agréable de se promener en écoutant de la musique. Je me demande comment nous faisions pour écouter de la musique avant de pouvoir le faire en nous promenant sous la pluie, de préférence les soirs d’automne, lorsque la nuit descend, ou alors le matin très tôt, avant que le jour se lève. Voir le jour se lever en écoutant de la musique sous la pluie. Je ne doute pas que cela me sera encore permis quand je serai mort. Je marcherai alors sous la pluie en écoutant de la musique, je n’aurai même plus besoin d’écouteurs. Il ne s’agira pas alors de musiques célestes ou séraphiques, seulement de celles que j’aurais écoutées et aimées ma vie durant — Rapportées de ma vie, comme le chasseur rapporte au village les animaux qu’il est allé chasser et qui ont bien voulu se laisser prendre. Ces musiques ne s’useront plus, je pourrai les écouter indéfiniment sans que jamais elles ne s’usent, pas plus que ne s’use le bruit de la pluie par terre et sur les toits, Pour un cœ...