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Affichage des articles associés au libellé En attente

Lettre de Noël

Les histoires classiques obéissent à un schéma circulaire, qui veut qu'on parte d'une situation ordinaire, plutôt tranquille, avant qu'intervienne un agent perturbateur. Un problème se pose, plus ou moins grave, auquel il faut répondre, qu'on s'emploie à résoudre, puis qu'on résoud enfin, grâce à quoi le calme revient, la vie reprend son cours, et on renoue ainsi avec la situation initiale. Dans ce type d'histoire, les évènements s'enchaînent selon des rapports de cause à effet. C'est parce que le dragon se manifeste que le jeune chevalier part à sa rencontre, armé d'une lance, et c'est parce qu'il l'occit que le village retrouve la paix. Ces histoires ont un sens. Elles sont closes, comme sont clôturés les jardins, par un mur qui court d'un point au même point en en faisant le tour. Et elles sont si nombreuses à obéir à ce schéma qu'on peut se demander s'il ne faut pas y voir une représentation symbolique de l'expéri...

Pour l'éternel présent

Oserais-je dire qu'on se rassure à peu de frais en prétendant, contre toute évidence, qu'après la mort, il n'y a rien. Parlez-en aux enfants des grands criminels de guerre, ils vous en diront quelque chose. Je suivrai plutôt ici la voie du pseudo-Lavoisier, selon lequel: "Dans la nature, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme." Nos vies humaines ont un début, un milieu et une fin, mais pour ce qui est de nos existences personnelles, il en va autrement. Qui peut nier que Beethoven ou Cézanne continuent d'exister parmi nous, qu'ils continuent de nous influencer de la manière la plus active? Un nom personnel nous désigne. Mais suffit-il à se refermer sur nous-mêmes? Nos existences humaines n’ont pas de sens. La raison pour laquelle elles n’ont pas de sens est simple à concevoir et elle est rédhibitoire. Elles n’ont pas de sens parce qu’elles sont sans limites. Parce qu’on ne peut pas les enfermer dans un cercle, ou une frontière qui séparerait c...

Quid des histoires?

Une histoire, c’est ce qui vaut d'être raconté. Un auteur raconte une histoire parce que, selon lui, elle mérite d'être racontée. Et, quand il la propose au lecteur, c’est sous la forme d’une question. Il attend de savoir si celui-ci voit bien ce en quoi elle mérite d'être racontée. Ce en quoi l’histoire vaut d'être racontée, ni l’auteur ni le lecteur ne peuvent le dire, sans quoi l’histoire ne mériterait pas d'être racontée. Car alors, il suffirait de le dire, tandis que l’histoire dit ce qu’elle dit comme elle le fait, dans son ordre et son intégralité, et pas autrement. Pour autant, auteur et lecteur peuvent se parler et faire signe, l’un comme l’autre, vers ce qu’ils comprennent de l’histoire, et s’entendre à peu près là-dessus. Les critiques s’y emploient. Selon la définition que je propose, une histoire a donc une valeur. Et cette valeur n’est pas relative, ce n’est pas un prix. Elle est incommensurable, c’est-à-dire absolue. C’est une histoire, et elle a une ...

Inventer enfin

La vieillesse est un moment bien choisi pour se raconter des histoires. Je veux dire, pour inventer des histoires qui seront destinées d’abord, et peut-être seulement, à son propre usage, à son propre amusement, ou même, pourquoi pas, à une forme de délectation morose. Et ces histoires, on les inventera bien sûr à partir de sa propre expérience. La vieillesse est un moment, en effet, où on a beaucoup vécu en même temps qu’en général on ne vit plus grand-chose; où on a connu toutes sortes de gens, “des prétendus coiffeurs, des soi-disant notaires“ (G. Brassens), tandis qu’à présent on ne voit plus grand monde; où souvent même on se retrouve seul et où on est délivré de presque toute obligation; où on n’a plus qu’à s’occuper de soi, de la santé de son corps et celle de son esprit. Et où, surtout peut-être, on ne doit plus rien à personne, pas même la vérité d’un quelconque témoignage. Alors, pourquoi se priver de le faire? J’imagine que l’invention d’histoires doit occuper une place imp...

Ingénieurs et bricoleurs

Mes nouvelles sont composites. Dans chacune on trouve des faits, des personnages, des lieux, des circonstances atmosphériques qui s’organisent. Et, à un autre niveau, on les trouve composées de parties, disons de chapitres, qui se succèdent comme des cubes de différentes tailles et de différentes couleurs qu’on aurait alignés. Cette hétéroclicité n’a rien d’original. On la retrouve dans toutes les fictions narratives, qu’elles soient romanesques ou filmiques. La différence entre les styles tient à ce que les auteurs décident d’en faire. La plupart choisissent d’y mettre du liant. Autant de liant qu’il faut pour qu’on ne voie plus les jointures. D’autres, dont je suis, préfèrent que les contrastes restent bien apparents. Ceux qui choisissent de mettre du liant, ce sont les ingénieurs, ceux qui sont publiés par les grandes maisons d’édition parisiennes, et qui peuvent prétendre obtenir un jour des prix littéraires. Leur mérite, mais peut-être aussi leur tort, c’est d’apporter de la cohér...

Nos destins personnels

Une œuvre d’art a un sens mais pas de signification. Or, en quoi consiste la différence? Si nous nous en tenons à la littérature, le sens, c’est ce qui vous fait aller au bout. Et c’est ce qui fait que, quand vous êtes arrivé au bout, vous avez le sentiment de comprendre ce qu’on a voulu vous dire, comme on l’a fait. Mais cela ne vous permet pas de dire ce qu'on a voulu dire autrement qu’en répétant mot pour mot ce qu’on a dit. Et encore moins de dire pourquoi on l’a fait. Les fictions de F. Kafka offrent un exemple parfait de cette distinction. On les lit sans douter un instant de bien comprendre ce qu'on nous dit, mais quant à dire ce qu’on nous dit, et encore moins pourquoi on le fait comme on le fait, on en est incapable. Et sans doute l’auteur en était-il incapable lui aussi. Ou plutôt sommes-nous capables d’en donner mille interprétations différentes, mais aucune qui nous satisfasse, c’est-à-dire qui fasse taire les autres. Et c’est en quoi ces fictions sont des œuvres d’...

Des histoires

La forme d’une histoire est celle d’une clôture. Une histoire contient des personnages, des lieux et des faits en nombre nécessaire et suffisant pour qu’on la comprenne. Ce qui signifie qu’à la fin de l’histoire (et seulement à la fin), le lecteur aura le sentiment qu’on lui a dit tout et seulement tout ce qu’il fallait pour qu’elle ait un sens, par quoi il faut entendre qu’il sera maintenant capable de la raconter à sa manière, et qu’il aura le sentiment de savoir pourquoi il valait la peine qu’on la lui raconte comme on la lui a racontée, et pourquoi donc il valait la peine qu’il la lise jusqu’à la fin. Une histoire est censée raconter quelque chose qui s’est passée (ou qui pourrait se passer) dans la vie réelle. Il existe pourtant une différence notable entre ce que raconte une histoire et ce qui peut nous arriver dans la vie réelle, c’est que dans la vie réelle nos prétendues “histoires” ne sont pas closes. Et que, dans cette mesure, elles n’ont pas de sens. Ce qui signifie en part...