Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles associés au libellé Trios

Who By Fire

LE TÉMOIN: Son père ne croyait en rien. ELLE: Son père doutait que des hommes aient marché sur la lune, jusqu'à son dernier jour. Il doutait même que les avions décollent et atterrissent. Il doutait de tout. Il ne voulait croire en rien. LE TÉMOIN: Il avait peut-être des raisons pour cela. Son enfance algéroise. ELLE: Il appartenait alors à la communauté la plus pauvre, celle des pêcheurs de coraux, venus en balancelles de la côte amalfitaine, et que des prêtres catholiques prenaient sous leur protection. LE TÉMOIN: On imagine la protection. On en imagine le prix. ELLE: Il parlait de tiroirs remplis de billets de banque dans lesquels ces enfants, des garçons, pouvaient se servir pour nourrir leurs familles. LE TÉMOIN: On imagine le prix. ELLE: Taisez-vous! Il n’aurait pas voulu qu'on dise le prix. Il avait honte. LE TÉMOIN: Je comprends. Je respecte. Mais désormais, il ne croyait plus en rien. ELLE: Si, il croyait encore à quelque chose. LE TÉMOIN: À quoi? ELLE: À la voix de l’...

Lived In Bars

LUI: On voit pulluler, sur Instagram, d’étranges objets numériques qu’on désigne sous le nom reels , qui font s’enchaîner des pages dont le nombre ne dépasse guère, le plus souvent, la demi-douzaine. Et sur chaque page, il y a une image, fixe ou animée à laquelle bien souvent on superpose un texte. Et à tout ceci, assez souvent, on superpose de la musique. Le tout prenant la forme d’un petit film, dont la durée ne dépasse pas quelques secondes, avec cette différence encore que les pages se présentent en format vertical, qui est habituellement celui du livre, plutôt qu’en format horizontal, qui est celui des écrans de cinéma. Et un autre point important est que ces petites machines se composent d’images et de textes produits par l’auteur, mais aussi d’emprunts, ceux d’images ou de textes récoltés sur la toile, si bien que, dans la musique, on peut reconnaître une chanson des Beatles et, qu’entre deux images originales, inconnues jusqu’alors, on peut voir apparaître un tableau du Caravag...

Penny Lane

LUI: Un sideman est un musicien de jazz qu’on engage pour enregistrer avec une formation dont il n'est pas un membre permanent. C’est un bon professionnel. ELLE: C’était un rôle pour toi. LUI: J’aurais beaucoup voyagé. Je me serais promené à New York, Chicago, Los Angeles avec mon instrument. ELLE: Quel instrument? LUI: Disons un saxophone. Ou une trompette. ELLE: Tu ne sembles pas bien fixé. LUI: L’important est que je puisse transporter cet instrument avec moi. Dans une boîte ou un sac que je porte en bandoulière, qui ne se remarque pas trop. Et me voilà dans la ville où on m’attend. Le rendez-vous a été fixé par téléphone, plusieurs semaines auparavant, je suis arrivé par avion, j’ai dormi à l’hôtel, maintenant je prends le métro ou un taxi qui me conduit au studio. ELLE: Ce n’est pas toi le patron. LE TÉMOIN: Ce n’est pas lui le maître. Ce n’est pas lui qu’on verra en photo sur la pochette du disque. C’est un intermittent du spectacle, un travailleur indépendant. ELLE: Il a di...

Blind Willie McTell

LUI: Elle s’appelle Viviane. Elle travaille Porte de Bercy et elle habite rue Caulaincourt. Le soir, elle quitte son bureau à cinq heures et elle rentre chez elle en métro. Elle est rendue une heure plus tard. Hector est alors à la garde de Maïa, qui est allée le chercher à l’école, qui l’a ramené à la maison, qui l'aide à faire ses devoirs, à prendre son bain, qui l'autorise à regarder un ou deux dessins animés à la télévision dans l’attente du retour de sa mère. Mais avant de monter chez elle, au troisième étage où elle habite, Viviane doit faire quelques courses. Michel assure les courses hebdomadaires au supermarché. Chaque samedi matin, il remplit un caddie. Viviane les complète par des achats qu’elle fait, le soir, dans les petits commerces du quartier: des légumes, des fruits, du fromage, des yaourts. Puis, elle prépare le repas en attendant le retour de Michel. Ce moment, au pied de son immeuble, dans les rues alentour, est important pour elle, parce qu’elle mesure al...

The House of the Rising Sun

LUI: Durant cette période, il fréquente les surprises-parties. Mais il le fait en dilettante. Il en repart le premier, sans embarquer personne. Et, quand il s’en va, il entend encore les chansons sur lesquelles on a dansé. Et quand il est vieux, qu’il y repense, il se dit que ces chansons ne correspondaient jamais tout à fait avec son état d’esprit du moment. Qu’elles racontaient toujours une autre histoire, et que cette autre histoire se superposait à la sienne. LE TÉMOIN: Il ne dit pas pourquoi il en repartait le premier. Il passe tout de suite à autre chose. ELLE: Il en repartait le premier parce que la jeune fille dont il était amoureux ne fréquentait pas les surprises-parties. Elle appartenait à un tout autre milieu. Elle fréquentait plutôt les cellules des Jeunesses Communistes. Depuis l’enfance. LE TÉMOIN: C’est nouveau, ça. ELLE: Non, c’est ancien. LUI: Nous appellerons Arsène le garçon en question. ELLE: Et nous appellerons Elvire la jeune fille. LE TÉMOIN : Arsène et Elvire. ...

Here Comes The Sun

LUI: Il y avait toujours la possibilité de partir à la montagne. Parce que la montagne était toute proche. À l’époque, je n’avais ni voiture ni moto, mais il suffisait de monter dans un autobus et, en deux ou trois heures, tu étais au milieu des cimes. ELLE: Tu l’as fait souvent? LUI: Depuis les années de lycée, nous montions faire du ski, mais c’étaient alors des sorties organisées. Nous remplissions des bus. Ces sorties nous ont habitués à la montagne. Elles nous l’ont rendue familière. Mais les escapades dont je parle étaient d’un genre très différent. Il s’agissait de s’absenter. ELLE: Tu veux dire que tu partais seul? LUI: Oui, je partais seul et je n’allais rejoindre personne. ELLE: C’était une habitude? Cela t’est souvent arrivé? LUI: Oh, non. Trois ou quatre fois peut-être. Et des fois que je confonds. La première, c’était pendant mon année de Terminale. J’étais encore lycéen. J’étais parti au tout début du printemps. ELLE: Et tes parents ne se sont pas inquiétés de te voir par...

Leçons de nuit

1 - Au bout de la ligne de tramway (3 mars 2020) LE TÉMOIN - Il vide ainsi son appartement. Sans hâte, un jour un meuble, un jour un livre, un jour un vêtement, le jour suivant un ustensile de cuisine. Il les dépose la nuit, devant l’entrée de son immeuble, ou il demande à des brocanteurs de venir les emporter.  ELLE - Il n’est pas impatient. Il ne l’a jamais été.  LE TÉMOIN - Mais, d’un autre côté, qui peut dire pourquoi il agit comme il fait, où il veut en venir?  LUI - J’avais l’idée de partir. De quitter cet appartement. Et je voulais que ce départ s’opère le plus simplement du monde, le jour venu. LE TÉMOIN - Et maintenant?  LUI - Je n’ai pas changé d’idée. Je n’ai pas oublié. Mais les mois ont passé, des années peut-être. Combien, au juste? LE TÉMOIN - Pas beaucoup, mais bientôt deux. Cela dépend comment on compte. À partir de quel moment. LUI - Je ne tiens pas à parler du début. ELLE - Il ne tient pas à parler de la fin. Car c’est à elle qu’il songe. LE TÉMOIN...