jeudi 11 juillet 2024

Transition

Je suis tenté d’ajouter beaucoup de choses à ce récit. De parler un peu de moi. De l'été étouffant où nous sommes, du bleu du ciel vers le soir, mais aussi de la fraîcheur que je garde dans le studio que j’habite, avec le store que je déroule sur mon balcon, et les tourterelles dans les feuilles des arbres qui bruissent devant, dont je ne sais pas les noms, maintenant que j’habite dans les quartiers nord de Nice et non plus à Contes où j'étais professeur. 


Là-bas aussi, à la même saison, je passais de longues soirées sur mon balcon, à observer les tours grises de la cimenterie et les terrains de sport où se retrouvaient les jeunes, Arsène et Elvire parmi les autres, à la tombée de la nuit et encore quand la nuit était venue. Je les voyais alors éclairés par de hauts lampadaires dont la clarté jaune leur faisait des visages étranges, mais de si loin pouvais-je les voir, ou fallait-il que je m’approche, suivant la route toute droite, bordée de platanes? C’était à l’heure où, dans la ville basse, leurs parents étaient assis devant leurs postes de télévision. Ils avaient laissé les fenêtres ouvertes à cause de la chaleur, ce qui faisait résonner dans les rues désertes les musiques des films, les voix des acteurs, les coups de révolver, les claquements de fouet sur le dos des chevaux tirant les diligences, qui fuyaient la horde des indiens à travers la prairie, et leurs flèches qui dessinaient des courbes dans le ciel.


Je suis maintenant assis à l’ombre, dans un fauteuil de toile, en deçà de la baie vitrée laissée ouverte sur mon balcon, avec le store déroulé qui me protège de la lumière tombée du ciel, mais de celle aussi qui se réfléchit sur la façade blanche de l’immeuble d’en face. Dans le livre que je relis (Molloy, 1951), il est dit que “Ce dont j’ai besoin c’est des histoires, j’ai mis longtemps à le savoir”. Il est question des autres dont on a parfois beaucoup de mal à se distinguer soi-même dans le souvenir. Qui étais-je alors? Lequel d’entre eux que je reconnais à peine, que je ne suis plus aujourd'hui?


En racontant l’histoire d’Arsène et Elvire, j’avais dans l’idée qu’elle me donnerait l’occasion de parler un peu de moi, il en était temps, me semblait-il, je l’ai si peu fait. Mais voilà qu’elle file et se termine sans me laisser beaucoup de place. En me laissant sur le côté. Sur le bord de la route où je marche vers eux. Mais il se peut aussi que je me trompe. Peut-être ne parle-t-elle en réalité que de moi. Comment savoir? Et s’adressant à qui? Et pour dire quoi?

Un soir, le téléphone a sonné. C’était Abel…

mardi 9 juillet 2024

Le glacier

Cette nuit-là, Arsène devait raconter aussi: “Il y a des images d’elle que je garde. Il y une image d’elle que je garde je ne sais pas pourquoi. C’était l’été où nous avions passé le bac. Il était convenu avec mes parents qu’à la rentrée j’irais à Paris, et à ce moment de l’été, je revenais d’un séjour que je faisais tous les ans en Suède, dans la famille de ma mère, et il n’était pas prévu que je reste longtemps, mais quand je suis arrivé j’ai retrouvé Elvire. Nous n’étions pas ensemble. Déjà quand nous étions très jeunes, nous n’étions pas ensemble. Nous nous retrouvions à l’improviste puis nous nous séparions le lendemain ou quelques jours plus tard. Elvire ne voulait pas qu’on dise qu’elle était ma petite amie, ni celle de personne, mais surtout pas de moi. Elle ne voulait faire aucun projet avec moi. Ce que nous faisions ensemble, quand nous étions ensemble, c’était toujours à l’improviste, et le lendemain il fallait que j’oublie. C’était comme si chaque fois c'était une erreur, un moment d’égarement qui resterait sans conséquence, qui ne se reproduirait pas, qu’il fallait oublier. Elle voulait savoir avec quelles autres filles j’étais sorti dans l’intervalle, je le lui disais, elle ne m’en faisait pas le reproche, mais d’elle je ne savais rien. Et cet été-là, je suis revenu de Suède pour quelques jours, et aussitôt nous avons recommencé avec le même emballement, la même force, comme si nous venions de nous rencontrer, comme si c’était la première fois. Et un soir, nos amis avaient décidé de faire un pique-nique à Nice, tous ensemble, sur la plage. Il faisait si chaud que, dans la journée, il était presque impossible de rester sur la plage, mais le soir c’était agréable, et Elvire a voulu que nous nous joignions à eux, et avant de partir de Contes, ce soir-là, comme elle grimpait sur ma moto, elle m’a dit qu’elle avait dans son sac la clé d’un studio qui était celui d’une amie partie en vacances, et qu’après le pique-nique, nous pourrions aller y dormir, au lieu de revenir à Contes, et j’en ai été surpris. Combien de fois auparavant était-il arrivé que nous passions toute une nuit ensemble? Deux fois, trois fois peut-être, à la villa, quand mes parents étaient absents. Et je n’ai pas cherché à en savoir davantage. Qui était cette amie?”

Il s’est arrêté, puis il a dit: “On ne sait pas le nombre de fois. Il aurait fallu écrire chacune de ces fois sur un carnet, bien sûr on ne l’a pas fait et dans la mémoire les choses se confondent. J’ai gardé le souvenir de cette nuit, de la plage, du glacier, elle vaut pour les autres.”

J’avais peur qu’il s’égare. J’ai dit: “Et donc, cette nuit-là?” Alors, il a repris. Il a dit: “Je me souviens du pique-nique. Nous étions assis sur les galets avec les autres, il y avait des pizzas dans leurs boîtes en carton et il y avait des bouteilles de bière. Deux ou trois d’entre nous se levaient tout à coup pour aller se jeter à l’eau, ils s’aidaient à se lever des galets en se donnant la main, ils basculaient dans le noir, on ne les voyait plus, puis au bout d’un moment ils revenaient s’asseoir, tout trempés, le corps gluant de sel. Ils demandaient une nouvelle part de pizza, une autre bouteille de bière, une autre musique. Parfois ils s’embrassaient. La nuit était épaisse comme de la poix. On ne voyait pas les vagues devant nous. Il n’y avait pas de lune ni d’étoiles au-dessus de la mer pour iriser les vagues, encore moins de feu d’artifice comme cela arrive souvent, les soirs d’été, sur la Promenade des Anglais. Il y avait de la musique, celle encore d’un poste à transistor posé sur les serviettes mouillées, avec les boîtes de pizzas et les bouteilles de bière. Je me souviens d’une chanson de Bob Dylan, très belle et douloureuse, c’était la Ballad Of The Thin Man. Je l’ai réentendue il n’y a pas très longtemps chantée par une femme. Le poste à transistor était insuffisant bien sûr à rendre cette musique, le son était affreux, mais certaines paroles entendues cette nuit-là, sur la plage, sont restées gravées dans ma tête. Because something is happening here but you don't know what it is / Do you, Mr. Jones? Puis à un moment, Elvire s’est approchée de moi et elle m’a dit “On y va?” et nous les avons quittés. Et c’est alors que les choses, en effet, prennent un tour étrange.”

Je l’ai laissé se taire, fouiller dans sa mémoire, puis il a dit: “Le studio était très loin, tout à fait dans le quartier nord de Nice, dans la rue Parmentier, et au lieu de prendre l’autobus, nous montons à pied. Des kilomètres à parcourir. Dans mon souvenir, je ne sais pas pourquoi, il n’y a pas d’autobus et l’avenue Jean Médecin est très mal éclairée. Déserte et très mal éclairée. Et je ne sais pas non plus pourquoi nous ne sommes pas à moto. Et plus nous montons, plus la nuit est épaisse. Nous sommes épuisés par la journée de chaleur, par la baignade et maintenant par la marche. Elvire porte une tunique de coton aux fines rayures, bleu ciel et blanc, délavée, et des sandales, et elle me tend la main pour que je la tire. Elle rit, elle semble heureuse, alors que je reste muet, incapable de prononcer une parole dans quelque langue que ce soit, de croire tout à fait ce que je vois. M’entraîne-elle dans le royaume des morts? Je l’y suivrais bien volontiers, je n’ai pas peur, j’hésite seulement à croire ce que je vois. Dans l’épaisseur de cette nuit, un lion, un griffon, un Sphinx pourrait soudain apparaître devant nous, nous barrer le chemin, exiger que nous répondions à une énigme pour nous laisser le passage, ou au contraire ce serait Virgile dans sa longue toge blanche pour nous servir de guide, et cela jusqu’à ce qu’enfin nous parvenions sur l’avenue Malaussena et que là, soudain, dans un îlot de lumière, apparaisse un glacier.”

Nouvelle interruption, plus longue cette fois. Quelle heure pouvait-il être? Des jogger venaient vers nous ou nous doublaient parfois, vêtus d’étoffes phosphorescentes, des écouteurs aux oreilles. Et comme Arsène semblait perdu dans ses pensées, ou comme peut-être il hésitait à me livrer un secret, j’ai dit: “Allons, au point où tu en es… Raconte-moi la suite!” À quoi il m’a répondu: “Je garde des images très précises. Il y avait cinq ou six tables sur le trottoir, l’intérieur était vivement éclairé, c’était comme une grotte, comme une crèche, et cette lumière s’étendait sur les tables disposées sur le trottoir. Depuis notre départ de la plage, nous n’avions pas rencontré dix passants et là soudain c’était un petit groupe de gens du quartier. Des personnes que la chaleur empêchait de dormir et qui resteraient sur ce bout de trottoir, à manger des glaces de différentes couleurs, et à boire des laits frappés de différentes couleurs, jusqu’à ce qu’on rentre les tables, qu’on éteigne les lumières, et que, dans la nuit épaisse comme de la réglisse, elles soient obligés de retourner chez elles. Parmi elles, des vieillards, un garçon de notre âge qui lisait sans lever la tête, avec un fin sourire, dans un livre de Philip K. Dick, une famille d’asiatiques, ainsi qu’un couple de jeunes parents avec un bébé. Et tandis que j’allais au comptoir commander les glaces, Elvire s’est assise à une table et aussitôt elle est entrée en conversation avec le jeune couple dont elle admirait le bébé. Et je l’observais. Elle semblait tellement heureuse. Elle n’avait aucun mal, quant à elle, à trouver les mots alors que, dans ma bouche, ma langue s’était changée en pierre. Et derrière ce comptoir, il y avait deux jeunes filles en uniforme qui servaient les glaces, vêtues comme des poupées, et il y avait un homme d’une quarantaine d’années, mince et musclé, en chemise blanche, qui semblait le patron. Et comme, bien plus tard, Elvire ne se montrait pas décidée à partir, et comme en fin de compte les jeunes filles derrière le comptoir fermaient les bacs de glace, ôtaient leurs uniformes, éteignaient les lumières, le patron est venu s’asseoir avec nous. Il a allumé une cigarette. Et alors j’ai compris qu’Elvire et lui se connaissaient très bien.” 


samedi 6 juillet 2024

Arsène raconte

“Mais non, ce n'étaient pas des étudiants”, devait me déclarer Arsène la dernière fois que je l’ai vu, ce jour où pour la première fois il m’a parlé comme sans doute il n’avait jamais parlé à personne auparavant, jamais du moins aussi longtemps, tandis que nous marchions au bord de la mer en direction de l’aéroport, que nous regardions les avions atterrir et s’envoler dans la nuit, et que moi-même je l'écoutais comme sans doute je n’avais jamais écouté personne, et sans doute savions-nous alors sans nous le dire qu’il n’embarquerait pas le lendemain à l’aéroport ainsi qu’il avait prévu de le faire en destination de je ne sais plus quel pays, comme il avait beaucoup compté de pouvoir le faire depuis que l’attentat avait été commis, c'était sa dernière chance, en sachant tous les deux qu’il serait arrêté avant, au tout dernier moment, comme cela se termine dans les vieux films d’aventures policières, et peut-être abattu s’il tentait d’échapper à cette arrestation.

“Oui, enfin, je veux dire qu’ils n’étaient plus étudiants déjà au moment où je les ai rencontrés”, devait-il ajouter tandis que j’avais le nez levé vers les ombres blanches des avions planant dans le ciel noir, comme des fantômes, des âmes errantes.

“Ils s'étaient connus, dit-il encore, à la faculté des Lettres, en section de philosophie où ils avaient été élèves du même professeur. C’était alors qu’ils s'étaient constitués en cellule d'action autonome dissidente des autres groupes gauchistes, mais ensuite, au bout de la première ou de la deuxième année, ils avaient décidé de passer à l’action clandestine, et c'était alors qu’ils avaient arrêté leurs études, qu’ils avaient rompu avec l’université, qu’ils avaient rompu tout lien avec leurs familles, avec leurs anciens camarades, seul le professeur Célestin Vuibert savait où les trouver dans ce quartier Vernier où désormais ils habitaient ensemble, où je devais habiter avec eux, où d’une certaine façon ils m’avaient recueilli alors que je n’étais qu’un clochard, et je me souviens de certains soirs où le professeur a dîné avec nous, d’un couscous et de thé à la menthe, derrière le rideau de fer à demi baissé du restaurant de chez Kader.
— Combien étaient-ils?
— Ils me disaient qu’ils étaient neuf, mais il y en a deux que je n’ai jamais vus, qui n’étaient pas avec nous, peut-être pas à Nice, peut-être pas en France, et dont les noms n’ont jamais été prononcés devant moi.
— Ils étaient donc sept. Cinq garçons et deux filles, d’après ce que disent les journaux. Et avec toi, ça faisait huit.
— Oui, mais moi je ne comptais pas. Ils m’avaient recueilli. Je crois qu’ils me faisaient confiance, ils parlaient librement devant moi, mais ils ne m’expliquaient rien. Ils citaient des noms, des lieux, des dates, mais ils savaient que je ne les raccordais pas, que je ne m’en souvenais pas, que j’étais trop vieux, trop malade, et que le plus souvent j’étais ivre.
— Celui que les journaux appellent Arthur était leur chef?
— Oui, ce n’est pas son vrai nom mais c’était bien lui qui commandait. Il avait un lieutenant qui lui servait aussi de garde du corps, celui que les journaux appellent Matteo et qui est mort avec lui.
— Et comment étais-tu entré en contact avec eux?
— Un jour, par hasard, je suis entré au KWa où tu m’as vu. C’était au début d’un après-midi d’hiver, il faisait froid, avant il avait plu, maintenant le soleil était revenu mais j’étais trempé, et j’ai commandé un rhum et d’abord Selim n’a pas voulu me servir, il m’a dit qu’ici on ne servait pas d’alcool, mais Arthur s’est levé et il a demandé à Selim de me servir de la bouteille cachée sur une étagère, qui était pour eux, puis il m’a fait asseoir à leur table. Je grelottais. J’essayais de les écouter, de garder les yeux ouverts mais je m’endormais sur ma chaise. Nous sommes restés jusqu’au soir, puis ils m’ont emmené pour dîner pas loin de là, au restaurant de chez Kader, où il n’y avait pas d'autres clients, où ils étaient attendus, puis ils m’ont emmené pour dormir dans la soupente qu’ils habitaient ensemble, au-dessus des hangars désaffectés, dans la rue Pierre Pietri.
— Et en vivant avec eux, tu as compris en quoi consistait leur action clandestine?
— Ils disaient qu’ils s’appropriaient des logements inoccupés pour y accueillir des migrants. Cela, c’était facile à comprendre, ils ne s’en cachaient pas. Quelque temps après mon arrivée, ils m’ont emmené dans un appartement où ils m’ont dit que j’aurais à repeindre les murs et où je suis resté assez longtemps parce que mon travail n’avançait pas. L’appartement était vide. Ils y avaient apporté de gros seaux de peinture, des rouleaux, des pinceaux, une échelle et un poste de radio à transistor sur lequel j’écoutais de la musique. Et par terre, il y avait un matelas où je pouvais dormir.
— Tu dis que ton travail n’avançait pas, mais ils te traitaient bien?
— Oh, oui, très bien. Je n’étais pas prisonnier. Ils étaient très gentils avec moi. Chaque midi, l’une des filles m’apportait mon repas, et quand c’était Maria Luisa, il arrivait qu’elle le partage avec moi puis qu’elle reste un long moment en ma compagnie. Nous écoutions de la musique, nous fumions des cigarettes, nous buvions un peu de vin, nous laissions les fenêtres ouvertes à cause de l’odeur de peinture, parfois il faisait grand soleil et nous avions très chaud, d’autres fois il pleuvait dans la cour et c’était comme si nous étions en vacances au bord de l’Atlantique, ou au bord de la Manche, et que nous faisions la sieste. Elle me parlait d’Arthur.
— Elle était la maîtresse d’Arthur?
— Les deux filles étaient les maîtresses d’Arthur. Mais Frida s’en fichait un peu, elle couchait aussi bien avec les autres garçons, tandis que Maria Luisa était très amoureuse. Elle voulait savoir ce que je pensais de lui. Elle se demandait si un jour ils pourraient avoir une autre vie, sans plus s’occuper de l’avenir du monde. Elle me parlait de l’Irlande. Elle imaginait d’aller vivre avec lui dans ce pays qu’elle connaissait un peu, et d’y avoir des enfants. Elle me demandait si je connaissais ce pays. Elle me disait qu’ils pourraient y vivre à la campagne, tous les deux, avec leurs enfants, dans une petite maison en pierre avec un jardin où des légumes pousseraient dans la terre très noire, deux chevaux et une rivière qui passerait devant. C’était tout ce qu’elle voulait de la vie, la pauvre petite, Arthur et des enfants, et surtout elle me demandait de ne pas le répéter à Arthur qui se fâcherait contre elle s’il entendait qu’elle avait dit cela, et qui préférerait désormais coucher avec Frida, et à force, parce qu’il faisait trop chaud, ou parce qu’il pleuvait doucement dans la cour, derrière les fenêtres ouvertes, et aussi parce que nous écoutions de la musique, nous finissions par nous endormir, l’un par terre et l’autre sur le matelas, ou tous les deux parfois sur le matelas, sa tête posée sur mon épaule.”

Il s’est tu, puis il a dit encore: “Un jour, nous écoutions de la musique, je ne saurais pas dire quelle musique c'était, peut-être un piano seul, peut-être un orchestre tout entier, je ne m’en souviens plus, en même temps qu’il y avait des manutentionnaires qui parlaient dans la cour, trois étages plus bas, toute la journée et même tard dans la nuit ils déchargeaient des caisses apportées par camions, de la vaisselle je crois, et nous entendions leurs voix sourdes, parfois un rire, alors nous nous sommes endormis en laissant la radio allumée et les fenêtres ouvertes, et quand nous nous sommes réveillés il faisait déjà nuit.” Et tandis qu’il parlait je me suis dit, je ne sais pas pourquoi, que la musique qu’ils avaient entendue et sur laquelle ils s’étaient endormis, ce pouvait être la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel dans sa version pour piano seul. Enfin, ce pourrait être celle que j’ajouterais en off à mon film.


mercredi 3 juillet 2024

Le KWa

Je suis debout, sur le trottoir opposé, et je regarde Arsène au milieu de ses amis, derrière la vitre du Sélect. Je ne les entends pas. J’imagine ce qu’ils se disent. Je ne suis pas dans le film, j’en suis le spectateur intermittent, et cette histoire m'est pourtant la plus personnelle. Il n’y a pas d’histoire qui me soit plus personnelle que celle d’Arsène et Elvire, que j’ai si peu connus, que j’ai regardés de loin.

Et pendant plusieurs années encore, ce fut l’oubli, jusqu'au jour où de nouveau je l'aperçois derrière les vitres d’un café, mais cette fois ce n'était plus Le Sélect, c'était un bistrot de miséreux, le KWa, situé à l’angle de la rue Vernier et de la rue Trachel, devant lequel je passais souvent depuis que j'étais revenu à Nice, où se retrouvent à longueurs d’années des hommes de tous âges, immigrés d’Afrique du Nord, accablés de tristesse, dont certains au moins attendent là, dès le matin, en buvant des cafés, qu’un contremaître vienne les chercher pour une journée ou deux de travail sur le chantier d’un immeuble.

Il se tenait au comptoir, et d’abord, derrière la vitre, je l’ai vu de dos, et à quel trait dessiné sur son dos ai-je eu l’intuition que c’était lui? J’ai marqué le pas, mais d’abord j’ai eu peur qu’il se retourne et qu’il me voie, ainsi arrêté à l’observer depuis la rue. Nous aurions eu honte tous les deux. Alors, je me suis éloigné. J’ai tourné dans la rue Vernier, je ne voulais plus y penser, mais je n'étais pas arrivé à la hauteur de l'église Saint Étienne, que je me suis dit que mon attitude était stupide. Il était bien peu probable que ce fût lui, mais si c’était lui, dans quel état de misère morale et matérielle devait-il se trouver, et dans ce cas ne devais-je pas lui donner l’occasion au moins de me parler?

Alors, je suis revenu sur mes pas, j’ai poussé la porte du bistrot, et je suis venu m’accouder au comptoir, près de lui.

C’était bien lui, Arsène, je ne pouvais plus en douter, habillé du même costume que je lui avais vu la première fois où je l’ai rencontré en traversant un square, derrière l’hôpital Saint Roch, à son retour de Paris. Mais depuis, il avait beaucoup maigri, le costume baillait sur sa carcasse comme sur un épouvantail, et son étoffe en était défraîchie comme s’il était resté pendant des années, dressé au milieu d’un champ de betteraves, exposé au soleil, aux vents et à la pluie nuitamment accourus des quatre horizons qui crucifient le monde. Et lui, d’abord, ne s’est pas tourné vers moi. Un petit verre de rhum était posé entre ses mains, qu’il semblait hésiter à toucher. Parmi tous ces hommes qui buvaient des cafés, lui seul avait obtenu qu’on lui serve de l’alcool, me suis-je dit. À quoi devait-il ce privilège, ou au contraire cette indulgence coupable eu égard aux préceptes religieux? Ce n’était sans doute pas le premier rhum qu’il s’enfilerait aujourd’hui, d’une seule lampée, les yeux clos, mais ce pouvait être le dernier qu’il était encore assez riche pour s’offrir. Alors, il le ménageait. Il le regardait entre ses mains, comme un chat aurait fait d’une souris. Ensuite, il faudrait qu’il dorme. Que le jour s’abolisse jusqu'au soir, et ensuite, pour ce fantôme de mon ancien élève, qu’est-ce que serait la nuit?

J’aurais pu m’enfuir, mais un calme est descendu sur moi, comme venu du ciel. Alors, je me suis retourné pour observer la salle. Elle était petite et obscure. Il n’était pas loin de midi, nous étions en hiver, et bien que dehors le ciel était bleu, une faible lumière éclairait les tables et les visages des hommes qui y étaient assis. La plupart étaient de vieux Arabes silencieux, aux visages de santons, que je m’étais attendu à trouver là, mais parmi eux se trouvaient aussi un petit groupe de personnes très jeunes, de type européen, quatre garçons et deux filles, dont tout de suite j’ai songé que c’étaient des étudiants et qu’ils devaient être liés par les mêmes idéaux politiques, ceux-là même qui avaient marqué notre jeunesse et que avions perdus. Que pouvaient-ils comploter ainsi, si loin de la faculté des Lettres où ils auraient dû être occupés à suivre des cours concernant la logique d’Aristote ou le marxisme transgressif de Louis Althusser? Impossible de le savoir.

Je n’entendais pas ce qu’ils pouvaient se dire, mais un seul parlait et les autres l’écoutaient avec attention, en hochant la tête et en lui répondant, d’un mot jeté ici ou là, sans l’interrompre, pour appuyer ses propos et affirmer leur accord. Leur engagement personnel. C’était comme un groupe de flamenco dans lequel un seul chante, d’une voix extrême, tandis que les autres font claquer les os de leurs doigts sur le bois de la table, mis à part qu’ici les voix s’entendaient à peine. Et ils étaient ensemble d’une beauté à vous crever le cœur, si bien que je ne pouvais pas les regarder plus longtemps, et risquer qu’ils me voient les observer de la sorte, sans me mettre à rougir.

Alors, je leur ai tourné le dos et j’ai commandé un second café. Et alors, Arsène s’est tourné vers moi, et il m’a regardé. Mais, les yeux dans les yeux, il est resté sans rien dire, le visage impassible, figé dans ses rides, dans sa couleur de cendre, comme s’il ne me voyait pas, ou comme si, à travers moi, il voyait un autre visage peut-être, ressurgi de l’enfance, celui d’une jeune fille qu’il avait aimée, dont le prénom était sur ses lèvres comme sur les miennes était celui d’Arsène, mon petit!, sans que j’ose davantage que lui le prononcer.

Alors, j’ai laissé de l’argent sur le comptoir en faisant signe au patron que je payais aussi le rhum de mon voisin. Et je suis parti.

 

samedi 29 juin 2024

À voir comment!

J’ai entrepris de faire un grand ménage dans ce blog que j’ai ouvert en novembre dernier. Je me suis décidé à réunir la plus grande partie des textes qu’il contient dans des livres, que je propose à la fois en format papier (qu’on peut acheter en ligne) et en version numérique (qui reste gratuite). On les trouvera désormais accessibles sous l’onglet Librairie.

Deux premiers volumes sont déjà parus: Tendres guerriers, et Torquedo. Je travaille au troisième, qui s’intitulera Neige et sable. D’autres suivront.

Et pour m’alléger autant que possible, je supprime du blog, ou j’archive, au fur et à mesure, tous les textes ayant trouvé place dans les livres.

Quand on fait du ménage, tout paraît plus clair, et je profite de l’occasion pour dire quelques mots de la vision que j’ai aujourd’hui de mon propre travail.

Je suis heureux de voir que certains textes que j’ai écrits il y a fort longtemps voisinent si bien avec d’autres beaucoup plus récents. Les échos que ces textes se renvoient, les liens qu’ils tissent entre eux, me donnent à penser que Nice-Nord constitue bien une œuvre, et pas seulement une collection d’archives hétéroclites. Pour autant, il me semble que la logique de cette œuvre pourrait (ou devrait) maintenant m’entraîner dans un domaine qui ne serait plus strictement littéraire mais qui s’ouvrirait au cinéma, par exemple, ou aux installations d’art contemporain.

Aujourd’hui, la musique, la danse et le cinéma m'intéressent bien plus qu’à la littérature. J’y vois plus d’invention. Et ce n’est pas que je souhaiterais abandonner un art pour un autre, mais que Nice-Nord me semble vouloir déborder de la clôture du livre.

L’âge que j’ai et le peu de moyens dont je dispose rendent bien peu probable que je réussisse cette échappée. Mais je suis prêt à me contenter de résultats modestes. Le numérique ne permet-il pas d’ajouter au texte de l’image et du son? Je m’y suis déjà un peu essayé, et c’est dans cette perspective que désormais j’utiliserai ce blog.

À voir comment!

vendredi 28 juin 2024

Les Don Juan

Devant Le Select, à partir de six heures du soir, il y avait des voitures garées en double-file, et c’étaient plutôt de jolies voitures. Les hommes qui se retrouvaient là étaient des Don Juan. Il suffisait de les observer depuis le trottoir opposé, d’observer leur manège. Ils étaient un petit groupe, occupés à rire et à parler, debout au comptoir, à boire des bières ou des whiskys en piquant du bout des doigts dans des bols d’olives, en même temps qu’ils passaient des coups de téléphone. Parfois, c’était déjà la nuit et le bar était éclairé par des lampes au néon. Mais le plus souvent c’était l’été, les jours n’en finissaient pas. À Nice, l’été commence au mois de mai, et il est difficile de garder l’esprit au travail et à la famille quand les soirées n’en finissent pas, que les plages se couvrent de tables blanches où dînent les touristes et que les ciels sont émeraude. Il en arrivait d’autres. Puis, il fallait qu’il y en ait un qui sorte, l’air content, en agitant les clés de sa voiture. Il en faisait vrombir le moteur, il disparaissait au coin de la rue pour revenir, une demi-heure plus tard, avec une femme à son bord. Et cette femme sortait en même temps que lui de la voiture, elle tirait sur sa jupe parce qu’elle était trop courte et ensemble ils entraient dans le bar.

On les voyait debout au comptoir, derrière la vitre. Quand c’était une nouvelle conquête, il la présentait à ses amis, il disait le prénom de chacun et ceux-ci l’accueillaient avec de grands sourires. Des garçons qui se connaissaient depuis les années de lycée, devaient-ils préciser. Qui étaient pour la plupart des commerçants ou de petits entrepreneurs, parfois des journalistes. Qui partageaient des histoires de virées nocturnes. Qui jouaient ensemble au tennis, qui skiaient à Valberg ou Auron, qui fréquentaient l’hippodrome de Cagnes-sur-Mer, qui regardaient le sport à la télé, qui louaient des films pornos en DVD pour les regarder avec leurs femmes, le samedi soir, quand les enfants étaient couchés, en fumant du cannabis qu’ils avaient commandé par téléphone et qu'un jeune motocycliste était venu leur livrer à la grille de leur villa. De loin en loin, une partie de poker, pour faire comme dans les films. Puis, dix minutes plus tard, c’était au tour d’un autre de disparaître pendant une demi-heure avant de revenir avec une femme.

Je ne sais pas ce qu’ils pouvaient se raconter. Je n’ai jamais assisté à ce genre de scène que de loin, du trottoir opposé, ou bien au cinéma. Parmi les femmes qui étaient là, debout au comptoir, au milieu de ces hommes, on s’attendait à surprendre le beau sourire de Romy Schneider. Elle aurait tourné la tête et, en vous voyant, elle aurait souri, et la caméra se serait attardée en gros plan sur son visage. Cet air d’indulgence qu’elle montrait envers les hommes (pensez à Yves Montand ou Michel Piccoli, jamais bien loin), en même temps que cette expression d’une douleur secrète, venue de loin et qui devait l’emporter de façon tragique, au bout du compte.

J’imagine que la plupart étaient mariés ou en instance de divorce. J’imaginais que les uns avaient été témoins au mariage des autres. Qu’ils s’invitaient le dimanche pour faire des barbecues au bord de la piscine, avec femmes et enfants. Mais maintenant ils étaient ailleurs, dans une autre dimension de la vie, comme si pour quelques heures ils avaient eu vingt ans de moins

Il devait être question de l’endroit où ils iraient dîner, pas forcément à Nice. Des restaurants où il y avait un orchestre et où on pouvait danser devant l’estrade. Il fallait réserver des tables. Combien seraient-ils, au juste? Il fallait que l’un d’entre eux au moins connaisse le patron. “Tu lui dis qu’on est douze!” Enfin, arrivait le moment où ils posaient de l’argent sur le comptoir, en même temps qu’ils écrasaient leurs cigarettes. Je les voyais s’en aller en se répartissant dans différentes voitures qui démarraient sur les chapeaux de roues. Il me restait à les imaginer sur la route du bord de mer, filant au pied des hautes vagues blanches des Marina, en direction de La Siesta. La lumière des phares, la musique qu’ils faisaient jouer sur le tableau de bord. Joe le taxi, peut-être. Et Arsène faisait partie du groupe.

Voilà ce que j’ai pu observer à deux ou trois reprises avant que l’imprimerie de la rue Emmanuel Philibert ne soit mise en faillite. Mais ensuite, quand je suis repassé devant Le Select, je ne l’ai plus vu parmi ces hommes. Je ne m’en suis guère étonné, maintenant qu’on avait saisi sa voiture et qu’il était interdit bancaire, pensant qu’il avait dû quitter Nice et qu’il était à Paris où il avait peut-être repris son activité dans le commerce interlope des machines à sous. Où peut-être il gérait une salle de billard.

Le Select n’était pas le seul bar à Nice à remplir cette fonction de lieu de rendez-vous, et il n’en manquait sans doute pas à Paris non plus, du côté de Montparnasse, où les Don Juan comme lui devaient emmener de jolies femmes, et peut-être aussi enregistrer des paris sur des matchs de boxe, et même acheter et vendre des voitures volées. Car l’idée de délinquance s’attachait maintenant, dans mon esprit, au souvenir de mon ancien élève.


mercredi 26 juin 2024

Des visages du monde

Notre présence dans tel endroit du monde nous étonne toujours. Nous sommes ici, depuis peu, ou peut-être depuis toujours, comme aussi bien nous pourrions être ailleurs, et en même temps il se trouve que nous sommes ici, bien sûr, et nulle part ailleurs. Et cet étonnement marque la dimension poétique de notre rapport au monde. Je ne crois pas que la poésie soit aujourd'hui encore un genre littéraire, mais je crois qu’il y a une dimension poétique dans notre rapport au monde, et qu’elle tient, dans certains cas au moins, à notre étonnement de nous trouver ici plutôt qu'ailleurs. En cela consiste l’énigme, le charme, le mystère.

Les visages du monde correspondent à des expériences personnelles. Pour cette raison, nous sommes tentés de croire qu’ils seraient toujours uniques, apparus dans l’instant, aussitôt effacés. Mais les œuvres d’art nous montrent qu’il n’en va pas ainsi. Le même artiste peut passer sa vie à déployer (décliner) le même visage du monde. Et un grand nombre d’artistes peuvent passer leurs vies à illustrer un visage du monde qui leur serait commun. Le même artiste qui passe sa vie (ou du moins une grande partie de sa vie) à illustrer le même visage du monde: que l’on songe à Cézanne ou à André Dhôtel. Et un grand nombre d’artistes qui travaillent à illustrer (à définir) le même visage du monde: que l’on songe aux romanciers et aux cinéastes qui, de Raymond Chandler à David Lynch, ont traité d’Hollywood, de Los Angeles et de toute la côte ouest des États-Unis.

Les visages du monde se composent d’une pluralité d’éléments qui concourent à produire sur nos consciences une impression unique, singulière et indéfinissable, qui ne peut pas se désigner (se dire) autrement que par le nom du lieu de leur apparition (Sunset Boulevard), ou par le titre de l’œuvre romanesque ou cinématographique qui s'en est inspirée (The Big Sleep, Les dimanches d’août).

Les visages du monde sont exclusifs l’un de l’autre. Quand j’ai conscience d’habiter un visage du monde, il m’est impossible de m’en représenter un autre. J’y suis inclus en même temps que j’en suis envahi. Et la joie que j’éprouve tient à ce que ce visage du monde me paraît être un monde à part, refermé sur lui-même, à la fois ignorant et ignoré du reste du monde.

James Joyce disait que l’histoire était un cauchemar dont il cherchait à se réveiller. On pourrait dire aussi que le monde est un cauchemar dont on cherche à s'extraire, et dont on s'en extrait chaque fois qu'on fait l’expérience d’habiter un visage du monde. Et cette expérience est toujours marquée par la joie, un peu de joie au moins, même si sur ce paysage il pleut et que des crimes y sont commis.

Un exemple: À propos D’Est de Chantal Akerman (1993), Claire Atherton raconte (01:56) : “Quand Chantal est partie pour filmer D’Est, elle avait envie de faire un voyage parce qu’elle voulait aller filmer quelque chose, là-bas, à l’est, tant qu’il était encore temps — tant qu’il était encore temps de quoi?, on sait pas exactement mais elle sentait qu’il y avait quelque chose à retenir. Elle aurait pu l’expliquer par des raisons sociales, politiques, c’était la fin d’un monde, donc il fallait le documenter. Elle aurait pu aussi l’expliquer par des raisons affectives, de sa propre histoire, mais là ça devenait aussi trop dit, trop évident. Elle est juste allée là-bas parce qu’il y avait quelque chose qui l’attirait, et parce qu’elle avait senti, lors d’un premier voyage, une familiarité…” 

Un visage du monde ne dit rien ni ne peut se dire autrement que par ce qu'il montre.


 

lundi 24 juin 2024

Je me souviens

Je me souviens des images que j’aurais pu filmer et que je n’ai pas filmées quand j'étais professeur au lycée de Contes et que j’habitais là-bas. Elles sont inscrites dans ma tête. Celles des tours de la cimenterie que j’apercevais du haut de mon balcon. Celles que j’allais recueillir, au bout de ma promenade du soir, en marchant le long de la route, jusqu’au terrain de sport où se retrouvaient les jeunes habitants du faubourg, que j’observais derrière les grilles, sans me laisser voir. Celles de leurs motos pétaradant, cabrées sur la roue arrière, au risque de se casser le cou. Celles de la piscine en plein été. Celles des nuits de bals. Des longs plans fixes, à la manière de Chantal Akerman, qu’il me suffirait de raccorder maintenant que je n’y habite plus et que je ne suis plus professeur. Que je ne suis plus empêché par rien. Je disposerais à présent de tout le temps nécessaire pour en faire le montage. Il me suffirait d’y ajouter un texte que je lirais en off, et j’obtiendrais ainsi un petit film que j’intitulerais Contes ou Arsène et Elvire. Et sous l’un ou l’autre de ces titres, le film montrerait quelque chose que j’ai connu. Quelque chose du monde qu’à la fois j’ai vu et inventé lorsque j’habitais là-bas et que j’y enseignais, une vision du monde qui est la plus significative que j’aie jamais inventée, la plus personnelle, et qui ne peut pas se dire mais seulement se montrer. Et peut-être même se partager avec d’autres, encore que cette apparition ne se soit produite qu’une fois, durant cette période assez longue de ma vie où j’en ai été à la fois l’inventeur et le témoin.

Ludwig Wittgenstein dit que le monde se compose de faits et non pas de choses. Contes se compose d’une pluralité de faits, tels que je les ai perçus, et non pas d’êtres ni de choses qui se retrouveraient ailleurs, en-dehors de cette histoire. Arsène et Elvire sont des inventions, c’est ce que j’essaie de dire, encore que sous d’autres noms ils ont bien existé, et leurs personnages ne sont pas séparables du paysage où ils me sont apparus. Où je les ai inventés. Tandis que, faute d’avoir fait ce film, il faut que je me débrouille avec les mots, ce qui suppose une technique compliquée, beaucoup plus incertaine. Car les mots ne sont pas impuissants à montrer mais, pour le faire, il leur faut raconter des histoires. Et il n’est pas certain qu’Arsène et Elvire aient eu ce qu’on appelle une histoire, ou du moins ai-je pu en douter jusqu'à ce que cette histoire se termine. Et même alors, ces bribes, ces quelques rencontres nocturnes. Des moments si épars.

Puis il est arrivé que l’imprimerie soit mise en liquidation judiciaire. Enfin, je ne suis pas certain que ce soit le terme juridique exact pour parler de faillite, mais il me semble que c’est celui qu’a employé Abel quand je l’ai rencontré à la rue Emmanuel Philibert pour la dernière fois. Il était seul dans l’atelier, tous les autres employés étaient partis. Un liquidateur avait été nommé, les ordinateurs et tous les documents comptables avaient été saisis, et tout le reste du matériel était mis sous séquestre. Par quel privilège Abel se trouvait-il encore là? Il m’avait téléphoné pour que je vienne. La nuit précédente, il avait imprimé le dernier numéro de notre catalogue annuel et il m’en a remis une cinquantaine d’exemplaires dans une boîte en carton. “Ceux-là au moins ne vous coûteront rien”, m’a-t-il dit. Ai-je seulement prononcé le nom d’Arsène? Dans ce cas, il m’aura répondu qu’Arsène avait disparu, qu’il était injoignable. Il m’aura dit aussi qu’il n’habitait plus chez lui, dans la villa de Saint Pancrace où il avait vécu avec sa femme et leurs deux filles. La villa appartenait à sa femme, et celle-ci l’avait mis à la porte, plusieurs mois auparavant, quand elle avait demandé le divorce. Et, depuis, il habitait à l’hôtel. Et il m’aura dit aussi qu’Arsène était inculpé de faillite frauduleuse et d’abus de biens sociaux, ce qui l’empêcherait de se refaire avant longtemps. 
“Il avait une maîtresse?
— Oui, nous la connaissions, elle venait ici, une grande et belle femme, plutôt voyante, perchée sur ses talons, qui habite quelque part derrière le lycée Calmette et qui roule en voiture de sport. Mais elle aussi a rompu avec lui, maintenant qu’il n’avait plus d’argent.”

Tout de suite, je me suis dit qu’il était retourné à Paris. Qu’il devait avoir ses arrières à Paris où il avait passé pas mal d’années, où il devait connaître des gens. À quel moment avais-je entendu dire, ou avais-je cru comprendre, ou avais-je inventé, qu’à Paris, il avait travaillé dans les machines à sous, les flippers, les baby-foot et les jukebox des bars? Si bien que je l’imaginais faisant la tournée des bars pour ouvrir les machines et ramasser les sous qu’il faisait pleuvoir dans un grand sac en toile, et s’occuper peut-être aussi des réparations. Et ainsi, je pensais que nous ne le reverrions plus ici. Que je pouvais l’oublier, qu’il valait mieux l’oublier. Et bien sûr je n’ai rien dit à Elvire de ce qu’Abel m’avait appris. Une seule fois, elle m’avait parlé de lui, et des années étaient passées. Peut-être l’avait-elle oublié. Il valait mieux qu’elle l’oublie. Mais je me trompais. Je devais le revoir. 

 

jeudi 20 juin 2024

Heartbreak Hotel

J’en suis venu à me demander si La Barque rouge existait bien. Les souvenirs que je gardais des nuits passées là-bas, dont certains me revenaient en mémoire des semaines plus tard, de manière totalement imprévisible, parfois lorsque j'étais en cours, étaient si sombres et si confus, mêlés si étroitement d’ivresse et d’angoisse, que je croyais avoir rêvé. On m’aurait dit que, dans la pénombre du lieu et dans l’état d’ivresse où je m’étais trouvé, j’avais assisté à un meurtre, je l’aurais cru. Et on m’aurait dit que je m’y étais moi-même livré à la débauche, aux pires turpitudes, j’en aurais été horrifié, j’aurais juré que non mais je l’aurais cru aussi.

Le cabaret occupait le rez-de-chaussée d’une petite maison à peine plus haute que large, flanquée d’immeubles en pierre de taille qui avaient dû servir d’entrepôts, à l’époque où l’activité du port battait son plein, et qui étaient maintenant abandonnés aux courants d’air et au vol saccadé des chauves-souris. Or, derrière la scène où se produisait la chanteuse, n’avais-je pas aperçu le départ d’un escalier étroit, à la rampe de fer, dont je n’imaginais pas où il pouvait conduire? Vers quelle soupente, quel couloir obscur? Vers quelles chambres sordides? Et à présent, étais-je bien certain de n’y être pas monté?

Le doute me torturait l’esprit, si bien que, pour me débarrasser de ces fantasmes, pour en revenir à la réalité des choses, je suis retourné sur le port, un jour, pour voir La Barque rouge en plein midi.

Je ne m’attendais pas à ce que l’établissement soit ouvert. Il m’aurait suffi d’en voir la façade. D’en relire l’enseigne. Mais un simple rideau de perles en obstruait la porte. Je l’ai écarté d’une main et je suis entré. Après la lumière du dehors, il a fallu que mes yeux s'accoutument à la pénombre. Celle-ci n’avait rien d’effrayant. Il y flottait une bonne odeur d’ail et de vinaigre. Un réchaud à gaz avait trouvé place derrière le comptoir. Une femme s’y tenait, qui n'était plus toute jeune. Sur un feu, elle faisait bouillir de l’eau, sur l’autre des tranches de foie de veau grésillaient dans une poêle. Elle s’est tournée vers moi: “Vous cherchez à déjeuner?” J’ai répondu que oui. ”Ce sera près dans une minute, a-t-elle dit. Le temps que cuisent les pâtes. Mais il vous faudra vous asseoir à notre table. Nous n’avons pas fini de faire le ménage.” Puis, en levant un peu la voix et en tournant la tête: “Claudio, tu sers l’apéritif à ce monsieur?” Claudio était assis sur un tabouret, devant le comptoir. Il s'est levé lourdement et il est passé derrière. “Je vous sers un pastis?” Je savais bien que les pâtes ne cuiraient pas en une minute. J’ai répondu que oui.

J’ai déjeuné à leur table. Les pâtes étaient servies sans autre sauce que l’huile de la friture, avec beaucoup de poivre et de parmesan saupoudrés par-dessus. La femme s’appelait Teresa. Elle avait dû être belle. Imposante. Elle portait un tablier mais ses cheveux étaient coiffés, ses ongles étaient vernis et il n'était pas difficile de l’imaginer en manteau de fourrure, sortant d’une limousine pour entrer dans le hall d’un casino, des bijoux sur les mains. C'était la patronne, l'épouse de Claudio, qui lui avait un gros ventre et portait un tricot de corps gris sur sa poitrine velue. Puis, Julia nous a rejoints. Ses pas avaient claqué dans l'escalier. Elle était vêtue d’un peignoir mal fermé et elle fumait une cigarette. Elle s’est assise à notre table. Elle s’y est glissée sans rien dire, le peignoir découvrant ses jambes, des mules se balançant au bout de ses pieds nus. Teresa l’a servie. “Mange, petite!” Mais Julia continuait de fumer, elle ne touchait pas à son assiette. Elle buvait du vin. Et, de nouveau, j’ai trop bu moi aussi.

Claudio me servait. J’évitais de regarder Julia dont le peignoir mal fermé laissait pointer un sein. J’essayais de raccorder l’image de cette enfant malingre avec l’envoûtante apparition de la femme qui avait troué la nuit, en se produisant sur scène, lors de ma précédente visite. Ce pouvait-il que ce fût elle? Les deux images ne coïncidaient pas. Elles tremblaient comme pour s’ajuster l’une à l’autre mais elles ne coïncidaient pas.

Plus tard, je suis sorti au soleil pour boire mon café et fumer une cigarette. Il y avait un banc. Je m’y suis assis, le dos appuyé contre la façade. J’aurais pu m’endormir. Claudio m’a rejoint. Nous assistions à l’arrivée majestueuse du bateau de la Corse. En regardant droit devant lui, Claudio a parlé des îles lointaines où il avait navigué avant de se marier et de s’établir ici. Il n’attendait de moi aucune réponse. Il parlait pour lui seul.

Ce jour-là, je suis parti voir ailleurs, et quand je suis revenu, quelques semaines plus tard, aux petites heures de la nuit, mon état d'esprit n'était plus le même. J'étais moins angoissé. Je me suis accoudé au comptoir et j’ai commandé une bière. Claudio n’a pas fait mine de me reconnaître. D’autres buveurs occupaient de petites tables rondes mais, dans la demi-obscurité, leurs silhouettes étaient floues. Ils n’étaient que des ombres. Tout le monde attendait.

Julia est apparue. Elle portait une robe violette, longue et fendue, à manches courtes, qui moulait son corps et qui scintillait sous le projecteur. À ses pieds, un ampli. Elle commandait l’accompagnement musical avec son téléphone. Elle a chanté trois ou quatre chansons qui se ressemblaient, des litanies spectrales dont je ne me souvenais pas de les avoir jamais entendues ailleurs. Les accompagnements étaient joués à la guitare, avec des effets larsen qui par moments couvraient sa voix sans qu’elle paraisse s’en inquiéter. Julia était tout près de nous, à peu près immobile, devant le micro et sous l’unique projecteur, mais sa voix semblait émise d’un lieu situé quelque part derrière elle. Elle résonnait encore au fond d’un tunnel d’où la jeune femme était sortie pour devoir y retourner bientôt après son tour de chant, quoi qu’elle veuille. Une grotte dans laquelle elle serait aspirée et de nouveau engloutie. Ses lèvres bougeaient mais le lieu d’émission de la voix pouvait être une tombe. Et cette voix exprimait la tristesse aussi bien que la peur.

Nous avions quitté le comptoir et les tables pour nous tenir debout, en demi-cercle devant elle. Nous étions des admirateurs, ou des juges, ou des témoins. Prêts à l’applaudir ou à prononcer peut-être une sentence. Ou à l’abandonner peut-être à la nuit d'où elle semblait sortir comme une chrysalide de son cocon, ou un cadavre de son suaire. Puis, il y a eu une chanson dont j’ai aussitôt reconnu les paroles. C'était Heartbreak Hotel.

C'était cette fois une chanson venue en écho de ma propre jeunesse. Que je reconnaissais à ses paroles, que je pouvais prononcer une à une avec la chanteuse — Well, since my baby left me / Well, I found a new place to dwell / Well, it's down at the end of Lonely Street / At Heartbreak Hotel —, mais dont la musique n’était plus celle qu’avait chantée Elvis. Le souvenir du King n’y affleurait qu’à peine. Une version plus proche de celle qu’avait maintes fois performée John Cale, pour ceux qui s’y connaissent. Les syncopes y étaient éludées. Les déhanchements aussi. Il restait cette maigre pincée de paroles murmurées, des notes étirées, des grincements de poulies et des plaintes.

Enfin, une silhouette est apparue, sortant de la coulisse. Celle d’un garçon grand et mince. Celle d’un beau page dont Julia aurait été la princesse et qu’il serait venu servir. Et j’ai reconnu Arsène.

D’une main, il portait une cage à l’intérieur de laquelle il y avait un corbeau. Il a posé la cage sur une sellette que nous n’avions pas remarquée jusqu’alors, et tandis que Julia chantait toujours, qu’elle répétait les mêmes paroles tristes, il a ouvert la cage, il a tendu un index pour que l’oiseau s’y agrippe, et il l’en a sorti. Après quoi, mon souvenir de perd.

J'étais si étonné de reconnaître Arsène, qui était encore mon élève et le petit ami d’Elvire, que je ne voyais que lui. Le corbeau a-t-il volé au-dessus de nos têtes, a-t-il croassé sur les paroles de la chanson — Now, the bellhop's tears keep flowin' / And the desk clerk's dressed in black — est-il venu ensuite se poser sur une épaule de Julia sans que celle-ci lui prête la moindre attention, comme s’il n’existait pas? Je ne saurais le dire.

Je suis parti avant la fin de la chanson, et cette fois j’ai trouvé la force de reprendre ma voiture pour rentrer chez moi. J’habitais moi aussi dans un Heartbreak Hôtel, mais le mien se trouvait quelque part dans le faubourg nord de Nice.

mercredi 19 juin 2024

Anouk Aimée, l’incarnation

A-t-on dit que, dans l’émotion provoquée par Un homme et une femme au moment de sa sortie, il entrait pour une part le souvenir proche et douloureux de la Shoah, en tant que la beauté particulière de l’actrice signait son appartenance à la communauté des victimes? Même si l’on n’en disait rien, on ne pouvait pas ne pas voir que la tristesse que montre le personnage ne tient pas seulement au deuil de son mari, mort dans des conditions accidentelles, mais plus profondément aux persécutions que l’Allemagne nazie avait infligées aux Juifs, jusqu’au cœur de Paris, avec la complicité de l’administration française et de sa police. Des persécutions injustes, scandaleuses sur lesquelles la France d’alors faisait encore silence, qu’on n’était pas loin de vouloir passer par pertes et profits, qu’on n’était pas loin de considérer comme “un détail de l’histoire”, mais dont la mémoire est portée (incarnée) dans le film par l’actrice elle-même, dans la réalité de son visage, de ses gestes et de sa voix.

dimanche 16 juin 2024

La Barque rouge

J'étais attiré vers le port. Il y avait sur le port une boîte de nuit qui m'attirait de loin, certains soirs. Elle n’existe plus aujourd'hui. Elle s’appelait La Barque rouge. Je ne cédais pas souvent à son attraction. Deux ou trois fois par an peut-être, en toute dernière extrémité. Je savais qu’en toute extrémité, je pouvais me rendre là-bas. Je gardais cette idée en tête. Et je savais aussi qu’il m’était difficile de revenir à Contes les nuits où je m’y attardais, disons au delà d’une certaine heure, ce qui arrivait toujours.

Je savais qu’en sortant de La Barque rouge, à deux ou trois heures du matin, je n’avais plus la force de rentrer chez moi. Il fallait que j’attende le jour. Je marchais sur les quais, à pas prudents, de crainte de tomber à l’eau. L’enseigne de La Barque rouge restait éclairée derrière moi. Je n’allais pas bien loin. Je m'éloignais de dix pas, puis je revenais. Puis, de dix pas encore dans la direction opposée. En regardant le ciel et ses nuages lourds. L’enseigne de La Barque rouge ne s’éteignait qu’au petit jour, mais je n’attendais pas le petit jour pour quitter l’endroit. Chaque nuit, venait un moment où je craignais qu’une bagarre n’éclate. Que soudain un client, parmi les derniers, fasse étinceler une lame. Qu’il se tourne vers un autre soudain pour lui dire: “Je vais te saigner à blanc”, d’un air terrible, et que l’autre réponde en brisant le cul d’une bouteille sur le bord du comptoir, et que la chanteuse alors, derrière son micro, sur sa petite estrade, arrête de chanter et éclate en sanglots. Les doigts ouverts comme des palmes sur ses tempes, le rimel sur les joues. Je préférais imaginer ça de loin, en marchant sur les quais, sur le bord de l’eau, en cherchant un endroit où je pourrais dormir. À moins qu’il ne se mette à pleuvoir.

Il est arrivé quelquefois, mais pas souvent, qu’un autre vienne parler avec moi. Un autre client sorti de La Barque rouge ou venu d’ailleurs, comment savoir? Une ombre. L'ombre d’un homme grand et maigre, dont les traits du visage s’effaçaient dans la nuit, rien qu’une silhouette, et qu'il me raconte une histoire. Ces hommes sont des marins, des joueurs de 421, des buveurs de whisky. Des manieurs de couteaux. Ils savent des histoires. L'une est revenue souvent, ces nuits-là sur le port, ou peut-être ne l’ai-je entendue qu’une fois. C'était celle de l’Homme à tête de chien qui hantait les cales des lourds navires, partis dans ces mers lointaines où sont des îles avec leurs palmiers souffletés par le vent, et où, vers le soir, on tire une barque sur la plage où marchent des tortues géantes, hautes comme des ânes. L'ombre seulement d’un homme à tête de chien qui glissait sur les parois intérieures du navire, dans le bruit des machines, et dont chaque apparition était suivie d’une malchance. Une main coupée, un œil crevé, le dos brisé dans des escaliers métalliques, un jeune matelot tombé à la mer. Dans les remous de l’eau et dans le noir. Avec l’enseigne de La Barque rouge qui clignotait derrière nous, comme si l’orage qui grondait était près de l'éteindre. Avant qu’il ne se mette à pleuvoir.

Les rêves que j’ai faits ces nuits-là en attendant le jour. De brefs moments de sommeil remplis de rêves compliqués, qui me transportaient ailleurs, sur des îles où, derrière les quais et leurs façades colorées, le voyageur doit gravir des rues en pente bordées de villas dont les terrasses et leurs balustres débordent de bougainvilliers, avec au plus haut de l’avenue celle où est venue se réfugier la folle amoureuse, fille de Victor Hugo. Surtout quand il se mettait à pleuvoir. Nous étions au printemps et pourtant la pluie était froide. Pénétrante. Comme des cris de souris. Je me disais d’abord qu’elle n'était pas mon adversaire mais plutôt une amie. Rien qu'un peu de pluie de printemps, à quatre heures du matin, dans cette région du monde. Qu’auraient fait à ma place les clochards célestes de Jack Kerouac ou de Sam Beckett? Ils seraient restés là, bien sûr, à s’en réjouir, immobiles, comme auraient fait des moutons paissant au haut d’une falaise. Mais bientôt elle tombait à verses en même temps qu’elle s’irisait des premières clartés du jour, si bien que je finissais par me lever pour aller chercher un abri sous un porche. Je traversais le quai, plié en deux, mais il était trop tard. La pluie m’avait trempé jusqu’aux os. Et sous le porche, je restais assis, tremblant de tous mes membres, regardant les cordes de lumière zébrer la nuit jusqu’à ce qu’il fît tout à fait jour.