jeudi 13 juin 2024

Mécanismes d’une chute

Abel était son chef de fabrication. Je l’avais rencontré à la rue Emmanuel Philibert dès ma première visite, et chaque fois depuis lors j’avais eu affaire à lui.
Abel était plus âgé qu’Arsène d’une quinzaine d’années (presque aussi vieux que moi), et dès le premier jour j’avais apprécié son sérieux. Il avait les épaules larges, le regard sombre, il parlait peu. Arsène avait-il découvert le métier d’imprimeur quand il était à Paris? Ce n’était pas impossible. Mais ici, il s’appuyait de toute évidence sur l’expérience d’Abel. Entre eux, la répartition des rôles était claire. Arsène était le patron. C’était lui qui s’arrangeait pour obtenir les commandes et qui faisait rentrer l’argent, tandis qu’Abel se chargeait du reste. Arsène vantait la compétence d’Abel. Il disait de lui que, dans son métier, il était le meilleur, que c'était un champion. Il s’en engorgueillait comme d’un cheval de course qu’il aurait ajouté à son écurie et avec lequel il comptait remporter le Grand prix. Mais Arsène, quant à lui, avait-il un métier? Des relations, sans doute, on le voyait bien, on se demandait d’ailleurs où il allait les chercher. Mais l’avait-on jamais vu faire marcher la photocopieuse, ni établir un devis?

Arsène était flanqué, d’un côté d’un chef de fabrication et de l’autre d’un comptable. Sa place était entre les deux. Je parle d’un expert comptable, qui dirigeait un cabinet important, connu et respecté sur la place de Nice. Il s’appelait Jean-Marie Lourseau. Il avait ses bureaux à l’Arenas. Je ne l’ai jamais vu. Ce n’était pas lui qui venait à la rue Emmanuel Philibert, c’était Arsène qui se rendait là-bas, devait me raconter Abel qui l’y avait accompagné dans les premières années, mais qui ne l’accompagnait plus maintenant. Et quand Lourseau le recevait, c’était dans une salle de réunion où il apparaissait suivi de deux ou trois jeunes comptables qui ouvraient leurs ordinateurs, qui penchaient la tête sur l’écran et qui n’ouvraient pas la bouche pendant tout le temps où Lourseau faisait son laïus introductif.
Lourseau se montrait affable, il appelait Arsène par son prénom, il le tutoyait, demandait des nouvelles de sa femme et de leurs deux enfants. Il était question de pêche où on comprenait qu’Arsène l’avait accompagné quelquefois à bord de son bateau, et où il l’accompagnerait encore, sans doute, quand Lourseau l’inviterait de nouveau, peut-être pas tout de suite. Lourseau invitait à son bord des dirigeants d’entreprises, des professeurs de médecine, des architectes, le rédacteur en chef de Nice-Matin. Tout ce petit monde formait une coterie, mais Arsène faisait-il encore partie de cette coterie, et en avait-il jamais été un membre à part entière, telle était la question. Puis, au bout de dix minutes, il quittait la pièce où il laissait Arsène en tête à tête avec ses acolytes. Et ceux-ci levaient alors les yeux de leurs écrans et la partie sérieuse commençait. 
Ils avaient besoin, pour clore les comptes annuels de l’entreprise, de justificatifs qu’Arsène, sauf erreur de leur part, n'avait pas fournis. Les jeunes femmes étaient en tailleurs, les garçons en costumes serrés, à peine moins luxueux que ceux de leur patron, et ces blancs-becs se montraient alors d’une patience et d’une politesse inlassables, mais ils ne lâchaient rien. Ils réclamaient les tickets de restaurant, les billets d’avion, les notes d’hôtel, les bons de commande, les factures concernant des travaux de jardinage, des achats de meubles et pourquoi pas de bijoux, et beaucoup d’autres pièces indispensables dont ils avaient établi la liste et qu’Arsène était incapable de fournir. Ils ne paraissaient étonnés de rien. Ils ne portaient aucun jugement. Mais, avec cela, le bilan annuel s’avérait beaucoup moins positif, selon les chiffres qui s’alignaient à présent sur leurs ordinateurs, qu’Arsène avait feint de le croire. Et lui, de son côté, s’impatientait. Il suait à grosses gouttes. Il avait du mal à rester poli.

Voilà ce que j’ai pu comprendre par la suite, quand la situation s’est dégradée et qu’Abel s’est confié à moi, avec l’espoir toujours que je puisse raisonner Arsène, moi qui était son ancien professeur, qui avait de l’influence sur lui, qui était le seul sans doute à avoir quelque influence sur lui. Abel répétait: “Arsène vous respecte, il vous écoute!” Mais qui étais-je pour parler d’argent? Et d’ailleurs Arsène ne m’écoutait pas. C’était tout juste s’il ne me demandait pas de lui dire le montant du salaire que je touchais au bout de vingt-cinq ans de bons et loyaux services dans l’Éducation nationale. Arsène, je le faisais sourire. Il ne me demandait pas davantage comment il pouvait se faire que je ne m'étais jamais marié et que je n’avais pas d’enfant. Mais je ne doutais pas que ce genre de question trottait dans sa tête et qu’elle faisait de moi, à ses yeux, un homme qui avait raté sa vie.
Et, au fil des ans, Abel est devenu mon unique interlocuteur. Arsène était désormais absent de son bureau à chacune de mes visites, et je n’avais aucune raison de m’en plaindre. Abel comprenait vite, les travaux de mes élèves ne le faisaient pas sourire, pas même les poèmes qu’ils avaient écrits et que nous ajoutions aux photos. Mais il n’en était pas moins évident que les finances de l’entreprise allaient à la dérive. Abel ne cachait pas son inquiétude. Il me disait: “À la fin du mois, il faut sortir les payes. Les ouvriers les attendent, c’est à moi qu’ils les réclament. Et c’est toujours le moment où Arsène disparaît.
— Vous l’avez appelé?
— Oui, oui, je l’appelle dix fois par jour, je lui laisse des messages, mais il ne répond pas.”

Puis, il est arrivé qu’un jour je passe devant le Sélect, rue de Lépante, et que je le voie. Il était debout sur le trottoir, en compagnie d’un autre homme, et ils discutaient tous deux avec beaucoup d’animation. Ou plutôt, c'était Arsène qui racontait, qui expliquait, tandis que l’autre accueillait ses propos avec un visage ravi. Je me trouvais sur le trottoir opposé. Je me suis glissé dans l’encoignure d’une porte, à l’angle de l’avenue Maréchal Foch, pour les observer sans qu’eux-mêmes me voient.
Ils étaient sortis pour fumer. Arsène était le plus grand, de la tête et des épaules, l’autre levait les yeux vers lui avec un air d’admiration. À voir sa mine, je me suis dit que l’histoire que racontait Arsène devait donner une preuve étonnante et drôle de son talent. Elle devait expliquer comment Arsène trompait le fisc, pensais-je. Elle devait révéler les stratagèmes dont il usait pour que les artistes lui fassent don de certaines de leurs œuvres dont le prix n’apparaissait pas dans les livres de comptes. Ou peut-être parlait-il de femmes, de la sienne mais aussi de ses maîtresses, et des voyages et des dépenses qu’il s’autorisait avec elles. Ou peut-être parlait-il de sa nouvelle voiture, rien d’extraordinaire mais une Porsche Carrera tout de même, dont il avait couvert une partie du prix en refourguant au patron du garage des dessins d’Arman et de César, peut-être même un tableau que Martial Raysse lui avait donné, ou qu’il lui avait acheté à bas prix, un jour où l’artiste avait besoin d’argent. Ou peut-être parlait-il de chevaux, ou peut-être parlait-il de la roulette du casino de Monte-Carlo. Que sais-je? Que savais-je de ces voitures, de ces maîtresses et de ces mœurs?
Puis, à un moment, il devait en avoir assez dit, alors il a plongé la main dans la poche de son pantalon et il en a sorti une liasse de billets parmi lesquels il en a tiré deux ou trois qu'il a mis dans la main tendue de son compagnon, et celui-ci a empoché les billets et aussitôt il est parti. Et j'ai vu qu'Arsène rentrait maintenant dans le Sélect, qu’il s'accoudait au comptoir et qu’il faisait remplir son verre d’un liquide doré qui devait être du whisky.
Ai-je dit que nous étions alors au début de l’automne et qu’il ne devait pas être plus de six heures du soir?
Ou peut-être parlait-il déjà d’un bien autre trafic. Il était devenu si maigre, des poches sous les yeux, la peau tendue sur les pommettes! Un grand échalas au regard perdu, vieilli avant l’heure! Qu’est-ce que la vie avait donc fait de mon ancien élève, de ce si beau garçon et l’amoureux d’Elvire! 

lundi 10 juin 2024

Dire et montrer

  1. Qu’est-ce que je dis quand je dis que N. est un sage? Je dis que je tiens pour vrai que N. est un sage. J’exprime un jugement sans nécessairement apporter aucune preuve de sa véracité. En revanche, je peux citer diverses occasions dans lesquelles N. a montré sa sagesse, sans nécessairement affirmer qu’il est sage, sans même nécessairement employer ce mot. Dans ce cas, je ne dis pas que N. est un sage, je le montre. Ainsi, l’opposition entre dire et montrer peut ne pas impliquer une opposition entre la parole et l’image, mais rester contenue dans le champ du langage. Et nous pouvons ajouter qu’une fiction narrative ne consiste pas à dire mais plutôt à montrer. Et nous pouvons souligner encore que cette monstration de la fiction narrative peut s'opérer dans le champ de la littérature romanesque, qui reste contenue dans le champ de la parole, aussi bien que dans le champ de la narration filmique, qui ajoute à la parole des images et des sons.
  2. Mais revenons maintenant au cas où je m'emploie à montrer la conduite de N. Je peux donner des exemples qui illustreront tous la sagesse de N., ou en donner aussi qui illustreront sa folie, et d’autres encore dont on ne saura dire s’ils illustrent plutôt sa sagesse ou plutôt sa folie. La question qui se pose alors est celle de savoir si ma monstration repose sur un jugement personnel dont je m’efforcerais de convaincre les autres, ou si au contraire j'ai été incapable de me forger moi-même une opinion.
  3. Si ma monstration repose sur un jugement personnel, je dirais qu’elle a un sens (que je peux dire). Sinon je dirais qu’elle n’en a pas. Ou que, du moins, on ne l’a pas trouvé. Mais toutes ces questions relèvent de la question de la vérité, et il n’est pas du tout certain que la question sur laquelle reposent les fictions romanesques les plus significatives, les plus importantes, soit celle de la vérité.
  4. Dostoïevski n’a pas écrit Crime et Châtiment pour dire si Raskolnikov était un saint ou s’il était un fou. Il l’a écrit pour montrer (illustrer) quelque chose qui le hantait. Quelque chose qui existait tout à la fois dans son âme et dans le monde, et dont il se demandait s’il pouvait le partager. La question de l'écriture (littéraire ou filmique) est toujours tout à la fois celle de la réalisation et celle du partage. Puis-je donner une forme matérielle (duplicable) à ce qui est bien évidemment de l’ordre du fantasme, et cette forme pourra-t-elle être partagée et reconnue par d’autres?
  5. Les personnages sont au centre des fictions narratives mais ils n’en sont pas le sujet. Ce qui est le sujet d’une fiction narrative, c’est chaque fois ce que Ludwig Wittgenstein désigne comme un état des choses. Ou ce qu’on pourrait appeler aussi un visage du monde. Et chaque visage du monde a la forme d’une structure, ce qui signifie que tous les éléments qu’on peut y dénombrer n’existent jamais qu’en fonction des autres. Dostoïevski nous rend impossible de porter un jugement moral sur Raskolnikov (tel est son but) dans la mesure où il montre que celui-ci fait partie d’un état des choses, d’où il serait abusif (injuste) de l’extraire.
Je réponds ici à une série de notes de Michel Roland-Guill à propos d'Éric Rohmer.



dimanche 9 juin 2024

Dehors, dehors il fait chaud

Les vacances d'été n’en finissaient pas. Dans la ville basse, la chaleur était écrasante. Quand on avait des parents qui vivaient à la montagne ou dans d’autres pays, on envoyait les enfants là-bas. Pour quelques semaines. Arsène faisait partie de ceux qui partaient. Elvire faisait partie de ceux qui restaient. Et comme sa mère travaillait, elle avait à s’occuper de son petit frère Jeannot.

L’après-midi, elle l’emmenait à la piscine municipale. Tous les enfants s’y retrouvaient. On n’avait pas la place de beaucoup y nager. C'étaient des plongeons, des gerbes d’eau éclaboussée dans le soleil, des rires et des cris. Ça sentait le chlore. Les grandes plongeaient pour se rafraîchir, puis elles remontaient sur la berge et reprenaient la conversation avec les camarades. Elles jouaient aux cartes, elles écoutaient des chansons sur un poste à transistors posé entre leurs jambes, sur les tapis de mousse qui recouvraient le sol. Elles s’enduisaient l’une l’autre de crème solaire qu’elles appliquaient sur les épaules, sur les cuisses, au creux du dos et sur le nez. Elles disaient: “Si tu te voyais, tu es rouge comme une écrevisse.” Les bretelles de soutien-gorge glissaient alors sur les épaules.

Bien sûr, les intrigues amoureuses prenaient beaucoup de place. Il fallait toujours qu’une fille soit amoureuse d’un garçon qui était amoureux d’une autre fille. Ou dont on se demandait s’il sortait toujours avec elle. Ou qu’un garçon soit amoureux d’une fille qui en préférait un autre. Et ce garçon, on le voulait quand même, parce qu’il avait de beaux yeux et paraissait timide. Ou, au contraire, parce que c'était le chef de la bande. Que déjà toutes les autres filles de la bande, à un moment ou un autre, s'étaient blotties dans ses bras et l’avaient embrassé.

L’une se levait pour aller lui poser une question. C'était de la part de son amie qui les regardait de loin, une main en visière devant ses yeux. Certaines jouaient volontiers le rôle d’entremetteuses. Elles tenaient un compte exact des intrigues, elles transmettaient les messages, rapportaient les réponses, s’informaient de la suite. Les garçons s’intéressaient davantage au sport. Ils avaient tôt fait de s'écarter du groupe pour jouer au ping-pong. Elvire jouait au ping-pong aussi bien que les garçons. Après avoir demandé à ses copines d'avoir l’œil sur Jeannot, elle allait disputer des parties avec eux.

Les journées les plus parfaites étaient celles où on descendait à Nice pour une baignade à la plage et une séance de cinéma. Ces journées étaient celles qui passaient le plus vite. Puis, quand on remontait à Contes, il arrivait qu’un bal se prépare sur la place Jean Allardi. On s’asseyait sur des bancs, devant l’estrade, et on regardait les musiciens qui réglaient leurs instruments. L’un faisait entendre sur sa guitare trois ou quatre notes seulement, et aussitôt les jeunes filles reconnaissaient la chanson d’où elles étaient tirées. C’étaient les premières notes, par exemple, avec lesquelles Keith Richards introduit I Can’t Get Know. Ou celles avec lesquelles il introduit Angie. Alors, elles levaient le bras d’un seul coup pour en crier le titre, en faisant en sorte que le guitariste les remarque de loin, du haut de l’estrade, et il arrivait en effet que cet homme leur sourie. Et il y avait enfin, tout au bout du bal, au milieu de la nuit, le moment où on était trempé de sueur et où la chanteuse, une blonde qui était la seule fille du groupe, venait s’asseoir sur le bord de l’estrade, un micro à la main. Quelques accords à peine, égrenés derrière elle sur la basse, suffisaient à faire que les briquets s’allument. Une longue note futée, à peine murmurée, montait de la foule, et bientôt tout le monde chantait avec elle: “Hummmm…. Derrière les barreaux / Pour quelques mots / Qu’il pensait si fort / Hummmm… Dehors / Dehors, il fait chaud / Et des milliers d’oiseaux / S’envolent sans effort…”


La mère d’Elvire avait une amie qui tenait un salon de coiffure dans la ville basse, où Elvire a travaillé pendant plusieurs étés. Elle venait le matin, elle portait une jolie blouse et faisait les shampoings. Elle se souvenait d’avoir vu le Batman de Tim Burton, au cinéma Variété, en compagnie d’Arsène. Parce qu’Arsène revenait quelquefois, pour de courtes périodes, au milieu de l'été.

Tout cela, je le savais déjà. C'était à propos de tout cela que j’aurais voulu faire un film. Non pas un vrai film mais quelque chose à la manière de Chantal Akerman. Des plans fixes mis bout à bout. Avec, en off, une voix traînante et sourde qui aurait lu un texte. À la manière aussi de Marguerite Duras. Ce que les artistes nous apprennent, ce qu’ils nous montrent qu’il est possible de faire, de la façon toujours la plus simple et la plus directe. Avec les moyens les plus pauvres, les plus réduits. J’en viens maintenant à la petite histoire qu’Elvire m’a racontée bien plus tard, une nuit d'été, comme nous étions dans son salon et que ses deux enfants dormaient dans la chambre d’à côté.

Dans le jardin de la maison d’Arsène, il y avait une piscine. Et il arrivait qu’il invite quelques-uns de ses camarades à venir s’y baigner. Pas souvent. Une ou deux fois chaque année peut-être, au printemps. Tout le monde savait que la mère d’Arsène était un peu folle. Disons, extravagante. Elle recevait les amis de son fils en robe blanche, avec une cigarette à la main et une coupe de champagne dans l’autre. Elle faisait des remarques aux filles sur leur maquillage, sur la coupe de leur short, la couleur et la longueur de leurs ongles. Il n’y avait pas moyen d’échapper à ses regards. Et Arsène en était visiblement gêné. Et il se trouvait aussi que l’anniversaire d’Elvire était le douze août, et qu’Arsène, cette année-là, à cette date, était de retour chez lui. Et Elvire raconte: “Il m’a dit que le lendemain, il viendrait me chercher avec sa moto pour une baignade dans sa piscine. Et comme le lendemain était le jour de mon anniversaire, j’ai pensé qu’il le savait et que nous retrouverions là-bas tout un groupe d’amis. Je pensais que lorsque nous arriverions à la villa, je serais accueillie par tout un groupe de camarades et que nous ferions la fête. Et bien sûr j’ai accepté. Mais, quand nous sommes arrivés, j’ai eu la surprise de voir qu’il n’avait invité personne d’autre que moi. Que nous étions seuls.”

Et alors, elle s’est tue. Et moi, j’ai craint qu’elle me fasse des confidences que je ne voulais pas entendre, qu’elle me décrive des scènes que je ne voulais pas imaginer. Mais ensuite elle m’a seulement parlé de la piscine qui se trouvait sur une terrasse herbeuse, devant la maison, qui était située sur une colline au milieu d’autres collines couvertes de forêts, et elle m’a parlé de la maison elle-même qui n’était pas une villa moderne mais qui avait été aménagée dans une ancienne métairie.

Elle m’a dit: “La maison était toujours ouverte. C’était une folie de la mère d’Arsène de ne pas supporter qu’aucune pièce soit fermée, ni au rez-de-chaussée ni à l’étage où se trouvaient les chambres. Et cela en dépit de la chaleur et des moustiques qui pénétraient partout. Et, à l’arrière de la maison, il y avait un autre jardin plus ombragé. Qui sentait la menthe. Et la mère d’Arsène, que je m’étais attendue à trouver comme les autres fois dans la maison, était absente, elle aussi. Elle faisait un séjour dans une station balnéaire ou peut-être une clinique. Si bien que nous sommes restés seuls, Arsène et moi, dans la grande maison vide, tout au long de cette journée.”

Elle s’est tue de nouveau. Puis, après un temps, elle m’a dit encore: “Nous nous trempions dans la piscine, puis nous entrions dans la maison pour chercher l’ombre, pour boire de la limonade glacée, pour manger debout dans la cuisine ce que nous trouvions dans le réfrigérateur. Nous marchions partout, avec nos pieds mouillés qui faisaient des taches sur le carrelage, nos corps trempés qui cherchaient la fraîcheur, nous traversions la maison de part en part, je m’y égarais. Et comme Arsène me cherchait, lui aussi, qu’il m’appelait d’un étage à l’autre, nous nous retrouvions tout à coup dans une chambre.”

Et, cette nuit-là, elle n’en a pas dit davantage, et je ne voulais rien savoir de plus. Je me suis levé, je suis venu vers elle, nos mains se sont serrées, je l’ai embrassée sur le front et je suis parti.