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Articles

Cette fois-là (1)

Quand Alexandre Jacopo apprit la mort de Pascale Cardix, il y avait quinze ans qu’il ne l’avait pas revue. Hormis une fois à l’occasion d’un vernissage, dans une galerie d’art, sur le quai Lunel, et une autre fois à Paris, à la sortie d’un cinéma du boulevard de Clichy, sans qu’ils se soient parlé. Et en quinze ans, beaucoup de choses avaient changé: il avait vieilli, bien sûr, et surtout le réchauffement climatique avait rendu la planète beaucoup moins habitable. Aux longues périodes de sècheresse succédaient des mois entiers de pluies diluviennes, durant lesquels en plein midi il ne faisait pas tout à fait jour. Il continuerait d’écrire des livres, il garderait le privilège d’écrire des livres et de les publier, mais il savait que le contact avec les étudiants lui manquerait. Il prenait plaisir à diriger des thèses, et cette année-là serait la dernière où il pourrait le faire. Son étudiante favorite s’appelait Hélène Loriot. Depuis quatre ans, elle menait un travail sur Soeren Kierke...

Une clarinettiste

Il y avait une période de l’année où Laurent Dupuis me donnait rendez-vous, le soir, au bar de l’hôtel Westminster, sur la Promenade des Anglais. Souvent, quand nous avions ces rendez-vous, j’avais passé l’après-midi dans la partie sud de la ville, à travailler à la bibliothèque Dubouchage ou dans certains cafés où j’avais mes habitudes, et ensuite, quand nous avions quitté le Westminster, et après que nous nous soyons attardés un long moment encore sur la Promenade des Anglais, à marcher dans la nuit, en devisant côte à côte, il fallait que je retourne chez moi, tout à fait à l’opposé de la ville. Je tournais le dos à la mer pour gravir les avenues qui s'éloignent du centre en direction des quartiers nord, ce qui revenait à traverser la ville de part en part. Je m’en allais en tramway par l’avenue Jean Médecin, puis par l’avenue Malaussena, puis par l’avenue Borriglione, enfin je m’engageais à pied dans l’avenue Cyrille Besset qui tourne et qui s'élève dans la nuit, comme si e...

La rencontre de Trieste

Les visages, les lieux, les circonstances que vous avez oubliés ne sont pas perdus. Il arrive qu’un jour ils vous reviennent en mémoire. Ils le font à l’improviste, et la place qu’ils prennent alors peut être bien plus grande que celle qu’ils ont occupée dans le passé de votre vie; et d’ailleurs ils peuvent vous paraître insolites en ce qu’ils ne vous concernent pas au premier chef, mais qu’ils se rattachent à des personnes que vous avez à peine connues, à des histoires qu’on vous a racontées, à des lectures que vous avez faites, à des silhouettes aperçues de loin, celle d’une jeune fille à bicyclette qui remontait le boulevard Gambetta pour aller nager à la piscine du Piol, à des airs de musique. Et comme, avec l’âge, il ne vous arrive plus rien de bien passionnant, ce sont eux désormais qui vous tiennent éveillé. Ils nourrissent votre attention et vous servent d’objets d’étude. Ainsi, avec l’âge, je suis devenu le collectionneur de mes propres souvenirs. Je m’efforce de les attraper ...