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Articles

Arrière-saison

Je passais mes soirées au pub puis, pour regagner la petite maison que j'habitais, je passais par la plage. Celle-ci alors était vide. Il m'arrivait de m'arrêter pour regarder la mer, et quelquefois de dormir sur le sable. Au matin, j'étais réveillé par la pluie. Dans mon sommeil, j'avais essayé en vain de reconstituer un rondel de Tristan Corbière. À présent il me revenait aux lèvres sans que j'hésite. Je le disais debout, en serrant mon caban, en grelottant de froid: “Va vite, léger peigneur de comètes ! Les herbes au vent seront tes cheveux...” (4 février 2020)

Evite

Évite de remuer la nuit De rider l’eau  et le sable sous l’eau D’agiter les fougères dans l’air du soir Mottes de terre traversées de lombrics les nuages d’ardoise Une rangée de grands arbres nus prévenus de la nuit par les cris des corbeaux Écoute la rivière sans la voir (25 janvier 2020)

Fuite

À quoi rêvais-je quand la pluie fut la plus forte?  Étais-je assis dans un fauteuil devant mes livres ou à courir sous les fougères, zigzagant entre les gouttes parmi des rats dont  l'un plus gros  que j'attrapai par la queue pour qu'il m'entraîne? Et le conte prévoit-il que le jour enfin revienne? Je quitte la forêt pour m'avancer dans la cour déserte d'une ferme. Quand l’on a faim et soif, quelqu'un apparaît, sans visage, et vous montre un puits. Écouter

Tapisserie

Lorsque j’étais le cerf que l’on chasse, mes bois heurtaient les branches les plus basses des arbres, mon cœur battait si fort, Pas de rivière où enfin l’on s’arrête, où l’on se mire, où l’on boit, seulement les aboiements des chiens qui accourent, que j’entends sans les voir à cause des feuillages des taillis épais, Une rivière soudain qui m’arrêtait et je restais sur la berge à haleter, à écouter le son du cor, les aboiements des chiens qui bavent, Qui franchissent en courant l’obstacle d’un arbre couché, viennent à leur suite les cavaliers vêtus de rouge qui sonnent du cor, Linceul de sueur sur tout mon corps qui haletait et je restais derrière les arbres, Un rayon de soleil oblique perce les feuillages, Mon regard s’embuait, grelottant du froid qui montait de la rivière, mes yeux fendus baignés de larmes. Écouter

Une attraction de foire

Son art, si art il y avait, n'avait rien à voir avec la Poésie, plutôt avec la Passion d'apparaître et disparaître lui-même tout entier. Une attraction de foire qu'il exerça dans les foires des villes d'Europe où il accompagnait la famille qui l'avait recueilli dès l'enfance, souvent dans de pauvres Villages où ils parvenaient à la nuit tombée, grelottant sous une pluie qui n'avait pas cessé depuis des nuits et des jours (leur caravane sentait le Chien mouillé, une gouttière se formait au bout de leurs chapeaux), mais quelquefois aussi sur les scènes les plus prestigieuses (les mieux éclairées) de Londres ou Copenhague. Un destin qui le faisait se replier comme un pantin dans des coffres, se pendre dans des portants de costumes bariolés. Qui le faisait éternuer. À cause du fard à joues. Et jouer de la guitare et chanter comme on fait en Italie. Combien de langues au juste savait-il parler? De combien d'instruments de musique pouvait-il jouer? Et ces to...

Baigneurs

Les baigneurs sont trop loin dans les dunes, écrasés de soleil, silhouettes à peine moins graciles que le parasol coiffé de bleu et blanc que le vent menace d’emporter, qui les fait se lever, tourner autour et danser une danse de Sioux, si bien que tu hésites à te prononcer sur l’âge et le sexe de ceux que tu aperçois, encore que ce soit bien la beauté de leurs corps qui t’émeut, lesquels sont alors, tracés en noir sur blanc, comme paraphe de leur âme. Ou ces autres, vus de haut, qui paraissent flotter dans le bleu comme des anges. Le spectacle des êtres humains aperçus de si loin suffit à l’éblouissement d’un esprit lassé, qui n’a point perdu le goût de ses semblables mais qui souhaite les saisir au point où l’âme et le corps se confondent. Ne font qu’un. Comme Dieu lui-même les regarde d’où il est, ou les anges. Ou Alberto Giacometti. Tel baigneur, comme tel piéton filiforme dans l’œuvre du sculpteur, serait-il moins connu d’être aperçu de loin, et qu’entre lui et nous pas un mot ...

À Thot

Tablette évoque l’Égypte et ses tombeaux, le fleuve et les roseaux où se posent des ibis. Les journées les plus libres, de ciel clair et vent, n’empêchent pas qu’il écrive la nuit.  Sable soulevé criblant les murs d’un tombeau où volent des ibis, et le parfum de l’eau du fleuve. Au couchant, le bois mouillé des barques couvertes de chiures d’oiseaux, les poivriers.  Que vit-il? Il vit. Couché, le visage seul éclairé par l’écran. Quand on quitte Marseille, les rochers baignent dans une eau transparente dont on devine la teneur excessive en sel. Brûlant le linge étendu qui bat. Les barques. Les ailes du soleil. (10 juin 2009)