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Articles

L'église

J'étais parti trop loin. Après, il fallait revenir. Le pire, je n'étais plus tout à fait sûr de l’adresse de mon hôtel, ni même de son nom. J’avais dîné dans une taverne au plafond voûté. La lumière était insuffisante. Je voyais mal ce qu’il y avait dans mon assiette. Après, j’ai voulu marcher pour digérer ce repas trop lourd, et c'est ainsi que je me suis perdu. J'ai rencontré une fête foraine. Dans toutes les villes où je me suis perdu, je rencontrais les mêmes décors. C’étaient chaque fois des villes différentes mais les décors étaient toujours les mêmes. Avez-vous remarqué que, dans une ville, les tramways sont tous pareils, ce qui vous donne l’impression qu'il n'y en a qu’un, que c’est toujours le même? Quand il passe devant vous, il ne va pas très vite. Une allure de père tranquille. Les habitacles qui défilent dans la nuit n’abritent que de rares passagers qui somnolent. Et dans ce cas comment se peut-il que le même véhicule soit partout à la fois? J’ai ...

La honte (4)

Quand Bertrand et Walid se retrouvent devant la gare, déjà à la nuit tombée, quand Bertrand l’embarque dans sa voiture et qu’ils s’en vont ensemble, je ne sais pas où ils auraient pu aller ailleurs que là où ils sont allés. Bien sûr, c'était joué. Je ne sais pas ce que Walid lui aura dit pendant la brève conversation qu’ils ont eue, la veille au soir, au téléphone, quelque chose comme: “J’ai un couple d’amis qui peut m’accueillir chez eux, à Contes ou à Sospel. Un garçon que j’ai connu, qui s’est rangé. Si tu peux me conduire là-bas. Ensuite, je ne vous embêterai plus, mais sur la route tu me donneras des nouvelles des autres”. Et Bertrand, de son côté, a-t-il pu le croire une seule seconde? D’abord, quand il lui a parlé au téléphone, et encore quand il est monté dans la voiture, Walid n’a pas fait mention de leur destination réelle. De là où il le conduisait. C’est ensuite seulement, au tout dernier moment, comme ils traversaient le quartier de Bon Voyage et qu’ils s'apprêtaie...

La honte (3)

— Il prend la voiture de son père. Pourquoi? J’imagine que la vôtre était au parking?  — Il m’a dit que son père était malade. Qu’il l’avait appelé, qu’il avait besoin de lui. C'est le prétexte qu’il a trouvé. Et il est parti sur sa moto. — Vous l’avez cru? — Bertrand n’avait pas passé une seule nuit chez son père depuis bien longtemps. Mais pourquoi pas? Il ne m’avait jamais menti. Il a fallu cette fois. Et ce n'était pas pour retrouver une fille. — Entendu. Je comprends. Mais remontons quelques heures en arrière. Vous quittez votre bureau de l’avenue Thiers à six heures, vous revenez en tramway, et vous allez d’abord récupérer votre enfant chez votre mère, comme chaque soir. — Ma mère va chercher Paul à la sortie de l'école. S’il fait beau, ils vont goûter au jardin, puis elle le ramène chez elle. La vie n’est pas gaie à la maison, ma mère a besoin de moi, de cette visite que je lui fais chaque jour, Inès aussi. — Vous ne me parlez pas de votre autre frère. — Sofiane ne m...

La honte (2)

Amina occupe un poste important à la Mission locale. Au moment des faits, Hélène Barot, sa directrice, est à deux ans de la retraite, et elle compte bien qu’Amina lui succède à ce poste. Elle ne tarit pas d'éloges, la concernant. Elle dit que c’est la fille qu’elle aurait voulu avoir si elle s’était mariée et qu’elle avait eu un enfant. Voilà ce que dit le rapport. Bertrand, le mari d’Amina, est instituteur. Ils habitent ensemble dans le quartier des Moulins où ils ont grandi et où ils se sont connus quand ils étaient très jeunes. Les Moulins est, dans la banlieue de Nice, un “quartier sensible”, on dit aussi un “quartier prioritaire”. L’affaire s’ancre dans le quartier des Moulins, c’est là que tout commence, que tout se noue, tandis que l’épilogue nocturne se situe, dix ans plus tard, dans un autre quartier sensible, tout à fait à l’opposé de la ville, celui dit des Liserons. La famille Slimani a été pour Bertrand une seconde famille, peut-être sa vraie famille. Sa mère est mort...

La honte

— Qu’est-ce qu’il allait faire là-bas? Pourquoi l'a-t-il accompagné? — Parce que c'était mon frère. — Je sais. Nous le savons. Et nous savons aussi que votre mari avait reçu un appel de lui la veille au soir. Un échange très bref, qu’il vous cache, dites-vous. Qu’il prend soin de vous cacher. Sans qu’avant cela, il y en ait eu un seul autre depuis trois ans. — Si je l’avais su, vous pouvez croire qu’il ne serait pas ressorti, cette nuit-là. Vous pensez que je mens? — Bien sûr que non. Mais j’essaie de comprendre. Vous êtes sans nouvelles de votre frère depuis trois ans. Et puis, un beau soir, celui-ci appelle votre mari, ils ont un échange très bref, et le lendemain soir, sans qu’il vous en dise rien, votre mari l’accompagne à ce rendez-vous, dont l’un ni l’autre ne devaient revenir. Pourquoi, selon vous? — Parce que Walid était mon frère. Et parce que Walid et Bertrand se connaissaient depuis les années de collège. Et que c'était par lui, par Walid, que nous nous sommes re...

Vampire

Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain, elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs canes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas sur...

Pourquoi Bob Dylan ?

Les petites filles bien sages auxquelles elles ne voulaient pas ressembler étaient, dans ces années-là, de futures mères de famille jalouses et exigeantes, elles se préparaient à trouver un mari et à faire ce métier, comme nous autres garçons devions nous préparer à devenir leur mari et le père de leurs enfants, et je ne sais pas qui d’elles ou de nous étaient les plus contraints et les plus angoissés. Hier, j’ai revu A Complete Unknown avec une amie et, en sortant du cinéma, cette amie m’a demandé ce qui m’avait tellement marqué chez Bob Dylan lorsque j'étais adolescent, tellement impressionné. Et d’abord, je n’ai pas su lui répondre, mais plus tard dans la soirée, je lui ai dit que c'était parce qu’il nous offrait une image de la masculinité à laquelle je pouvais adhérer. Lorsque j’avais seize ans, il y avait autour de nous beaucoup de chantiers, avec des grues, des bétonneuses et des dalles de béton hérissées de tiges d’acier, il y avait les trajets de Nice à Paris qu’on pa...