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Articles

Fédora

C'était quand nous roulions, tous les quatre, l'été, sur les routes de montagne. Il arrivait que nous rencontrions de ces hameaux du bord des routes dont les pauvres façades épousent la courbe. Abandonnés, où souvent il ne reste qu’une boulangerie et peut-être un café. Écrasés de soleil. Et quelquefois il arrivait aussi qu’on voie, à peine plus loin, garée dans l’herbe d’un talus, une voiture de luxe, rutilante. Alors, je disais au trois autres du Fab Four: — Vous avez vu? Jef Costello est venu se cacher ici! Et comme ils en avaient l’habitude, ils savaient que je voulais parler, bien sûr, du Samouraï. Après un coup incroyablement audacieux, qu’il était seul à pouvoir réaliser, en plein cœur de Paris, Jef a à ses trousses les condés en même temps que toute une bande de malfrats commandés par un roi de la pègre. Alors, pour se faire oublier, pour soigner aussi une blessure, le temps qu’il faudra, il est venu se réfugier dans les montagnes du sud de la France. Une adresse que lui...
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Le voyageur arrêté

D’abord, ses marches dans la campagne, que d’autres appelleraient des promenades ou des randonnées, il les appelle des voyages. Dès la première phrase, il dit: “Voyager à pied m’a toujours ravi” . Ensuite, ses excursions (comme on peut dire aussi) sont toujours un peu hasardeuses. Il ne suit pas un itinéraire prévu sur la carte, il va où les sentiers le poussent, à l’instinct, dans une région qui lui est pour autant familière, pas très loin de chez lui, quelque part en Provence, mais où il lui reste néanmoins des lieux à découvrir. Chaque fois qu’il part marcher ainsi, il s’attend à découvrir un endroit nouveau où il pourra se reposer, se restaurer et peut-être, pourquoi pas, passer une nuit ou deux. On comprend d'entrée de jeu qu’il s’agit de promenades solitaires. Et l’autre point essentiel est contenu dans le projet de découvrir, au bout du voyage pédestre, un endroit qu’il ne connaît pas et où il pourra rester. La solitude et l’idée de hasard complètent le désir de s’installer,...

Damien Norfolk

1. Bruno est le patron d’un petit garage automobile sur l’avenue Cyrille Besset. Je passe devant plusieurs fois par jour. Malgré son nom, l’avenue Cyrille Besset n’est, sur ce tronçon, qu’une petite rue qui s’élève en oblique dans le quartier nord, par laquelle je passe quand je reviens du centre-ville. La rue en pente et mal éclairée d’un faubourg. Bruno est le chef d’une équipe de cinq ou six solides bonhommes. Je ne lui ai jamais amené ma voiture qui ne sort presque jamais du parking de mon immeuble, mais je suis toujours très content de passer devant son garage. Le plus souvent, les ouvriers travaillent à l’intérieur, tandis que Bruno se tient sur le trottoir avec ses écouteurs aux oreilles, occupé à parler au téléphone avec des clients et des fournisseurs. Après ce premier contact, les clients lui amènent leur voiture pour que Bruno évalue les réparations qu'il faudra faire, et le temps qu'il lui faudra pour les faire, le prix qu'il leur en coûtera, tandis la voiture r...

Les amants

Nous devions imaginer chaque fois une nouvelle destination pour nos promenades en voiture, ce qui n’empêchait pas que certaines se répètent. Celle de Saint-Tropez marquait le début de la saison d’automne. Nous aimions retrouver le port quand les touristes étaient partis, les terrasses de cafés désertes et les plages vides derrière leurs forêts de roseaux. Nous avions passé l'été sans nous voir. Début juillet, Dominique allait chercher la fraîcheur dans une maison qu’elle possédait en Savoie, où ses enfants et ses petits-enfants venaient la rejoindre et où Gérard avait gardé sa chambre. Je ne l’appelais pas avant son retour à Nice, courant septembre. C'était elle qui donnait le signal. Et alors, de nouveau, nous prenions rendez-vous pour nous offrir une escapade d’un jour ou deux, qui pouvait nous conduire jusqu'à Arles ou en Italie. Elle m’avait fait quelques visites à Nice, dans les années qui avaient précédé son départ de Paris. Le plus souvent, c'était moi alors qui ...

Un médecin de campagne

On disait qu’il ressortait, la nuit, pour parcourir les routes. La voiture était la sienne. Il la sortait de son garage, des voisins entendaient le bruit de son moteur dans la rue étroite. Puis, il filait sur les routes, à grande vitesse, toujours seul. On n’en a jamais su davantage, ce qui n’a pas empêché de beaucoup parler. Et le matin, à l’heure où débutaient ses consultations, il était de nouveau là, en blouse blanche. Il vous recevait avec toujours une cigarette au coin des lèvres, les yeux noirs, et personne ne s’est jamais plaint qu’il ne lui eût pas accordé l’attention qu’il fallait, ni qu’il se soit trompé dans les remèdes qu'il prescrivait, le pharmacien en est témoin. Il écoutait, il parlait peu. Il était sans doute celui qui en savait le plus sur nous, les gens du village, personne pourtant ne s'est jamais plaint qu’il ait trahi aucun secret, la nature de sa maladie ou celle de sa femme, ou celle de ses bêtes. Il fréquentait le Café de la Poste aussi bien que les au...

Sur le balcon

Parfois, les soirs d'été, quand la chaleur vous avait accablé depuis des semaines, que vous n’aviez pas osé sortir de chez vous avant cinq heures de l'après-midi, il arrivait que le ciel se couvre, que les arbres frémissent. Et on devinait que, pas très loin de là, dans les montagnes de l'arrière-pays, l’orage se préparait. On devinait qu’il éclaterait au milieu de la nuit et qu’alors il remplirait le ciel, qu’il n’y aurait plus que lui comme un dieu ou comme un pitre pour faire le spectacle. Ici, il ne se passerait rien, mais quand il en avait l’intuition, il fallait que J. s'arrête de marcher dans le boulevard qui monte, il fallait qu’il se glisse dans l’encoignure d’une porte, qu’il s’y mette à l’abri, comme s’il avait pu craindre qu’une abondante averse soudain ne s’abatte sur lui, et il attendait debout, aux aguets, tous les sens en éveil. Il dressait l’oreille à l’affût des bruits lointains des premiers tonnerres, de leurs roulements sourds. Il se souvenait qu’il ...

Sériel (12-18)

12 - Mes écrits rencontrent quelques lecteurs. Le blog dépasse souvent les deux cents impressions journalières (476 hier). J’en suis heureux, mais ces visiteurs restent très peu nombreux à s'intéresser au dispositif dans son ensemble, au Projet Nice-Nord, à l’œuvre en construction dans son format numérique. Deux lecteurs seulement ont demandé l’accès aux galeries souterraines où je stocke l’uranium enrichi . 13 - Les présentations que Jacques-Alain Miller fait du “dernier enseignement” et du “tout dernier enseignement” de Jacques Lacan sont claires et stimulantes, mais je crains qu’elles masquent, aux yeux d’une partie du public, ce qui reste constant dans la pratique de la psychanalyse. Freud invente un dispositif et il y adjoint une règle qui est celle de “libre association”. Ensuite, il essaie de comprendre ce qui s’y joue, pourquoi ça marche, et les enseignements qu’il en tire évoluent au fil du temps. Lacan ne fait rien d’autre que poursuivre la démarche d’élucidation, et les ...