Pierre se souvient que Mstislav Rostropovitch jouait dans les salles de concert les plus prestigieuses partout dans le monde, avec les plus grands orchestres, sous la direction de chefs renommés, devant les publics les plus connaisseurs et les plus exigeants, mais il se souvient aussi des tournées qu’il lui arrivait de faire dans des villages perdus de Sibérie où il s’acheminait en camion ou en naviguant en barques sur les rivières, avec un tout petit nombre d’autres musiciens et un unique récitant qui était chargé de présenter les œuvres; et il se dit que c'étaient là deux visages très différents du même métier d’artiste, deux faces opposées; et il se trouve que, s’il nourrit la plus grande admiration pour le Rostropovitch qui crée, le 4 octobre 1959, à Leningrad, le Concerto pour violoncelle et orchestre n⁰ 1 que son ami Dimitri Chostakovitch a écrit pour lui et qui présente d’incroyables difficultés techniques, il est fasciné peut-être davantage par les petits concerts que le mê...
Maintenant je retrouve Jean chaque fois que je vais dormir chez eux. Il occupe un couloir. Au-dessus de son lit, des étagères où il aligne des livres de la Série noire. Il en achète un, il le lit jusque tard dans la nuit, je vois la lumière sous sa porte, puis il le range avec les autres. Je vais compter combien il y a de livres sur son étagère le lendemain matin quand il est déjà parti. Je ne me souviens pas qu’il se soit jamais adressé à moi, qu’il m’ait jamais vu mais je l’observe. Il dîne assis à côté de mon grand-père de ce que ma grand-mère a préparé (des cocas à la frita, tortillas et poulet farci, avec de la salade et une pointe de brie), ils partagent la même bouteille de vin, il ne parle qu’à lui, non pas des chantiers où il travaille mais des cafés qu’il fréquente le soir quand il ressort. Il est question de bagarres et peut-être de filles que les garçons comme lui rencontrent dans les bars, et mon grand-père fait un signe vers moi avec la pointe de sa fourchette pour lui ra...