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Articles

Valeur des œuvres d'art (3)

Un canular se répétait il y a deux ou trois décennies encore, qui consistait à adresser à de grands éditeurs une copie d' Une saison en enfer ou des Illuminations avec la mention d'un auteur inconnu. Invariablement, le manuscrit était refusé, ce qui faisait beaucoup rire. J'imagine que, de la part des auteurs cachés du canular, il s'agissait de montrer que les éditeurs étaient incompétents, et sans doute fallait-il qu'ils le soient assez pour ne pas reconnaître ces textes. Pour autant, est-il bien certain que nous-mêmes lirions ces textes de la manière que nous faisons si nous ne savions pas qu'ils sont d'Arthur Rimbaud? Et qui s'attacherait à lire Finnegans Wake , et encore moins à le traduire, s'il ne savait pas qu'il est de James Joyce? Il me semble que la question se pose. La plupart des poèmes qui figurent dans Les Fleurs du mal sont très beaux et faciles à lire. Ils s'imposent d'eux-mêmes. Il n'en reste pas moins que nous sav...
Articles récents

Valeur des œuvres d'art (2)

Je propose de considérer les œuvres d'art comme des actes de langage, ce qui revient à les envisager sur le versant de l'énonciation en même temps et tout autant que sur celui de l'énoncé. Cette approche devrait permettre de mieux comprendre ce qu'est une œuvre d'art, en quoi consiste sa valeur, et de répondre à la question de savoir dans quelle mesure une production de l'IA peut être regardée comme une œuvre d'art. D'abord, un rappel historique qui devrait nous mettre sur la voie. En 1996-1997, le champion du monde d'échecs Garry Kasparov est opposé au supercalculateur Deep Blue d'IBM. Il remporte le premier match (1996) et perd le second (1997). Après quoi, l'intérêt pour des duels homme-machine au plus haut niveau diminue, car les programmes informatiques d'échecs continuent à progresser, dépassant de manière constante la force des meilleurs joueurs humains. Le fait est connu. Le point important consiste, de mon point de vue, dans ce q...

Le Klyuch

Jean-Luc dit: Il m’a fallu longtemps pour en savoir davantage, je ne suis pas certain aujourd'hui encore de tout savoir ni d’avoir tout compris, surtout je ne suis pas certain de vouloir tout savoir ni tout comprendre. L’histoire me paraît troublante et belle pour ce que j’en sais, pour ce que Nora a bien voulu m’en dire, ou ce qu’elle m’a laissé entendre, pour ce qu’elle m’a donné à connaître et à imaginer, et cela me suffit.  J’avais appris que l’homme à la mobylette était son père. Le soir même où il les avait attendues à la sortie de la boucherie, puis où il les avait suivies de loin sur l’avenue Cyrille Besset, en poussant sa mobylette dans la montée, avec une jambe un peu raide, Lucette m’a dit, Tu sais, un monsieur nous a suivies; et comme Nora était là, qu’elle était en train de préparer à dîner pour nous trois, j’ai dû lever les yeux vers elle comme pour l’interroger. Alors, s’adressant à Lucette, elle a dit, Ne t’inquiète pas, il n'était pas méchant, ce monsieur, il é...

Pour Noël

Question de croire Il y a des histoires qui évoquent le passé, et d'autres qui parlent pour l'avenir. Quelqu'un dit: "Hier, il a neigé". La question est alors de savoir si hier, il a vraiment neigé. "Tu es sûr qu'il a neigé? Où a-t-il neigé? Tu es sûr que tu n'as pas rêvé ? Tu ne parles pas d'un autre lieu, un autre jour?" La question est alors de savoir si c'est vrai ou si ça ne l'est pas. Une autre histoire dit qu'un petit enfant est né dans une crèche, entre un âne et un bœuf. Et que cet enfant était en réalité le fils de Dieu, Dieu autant que lui, le roi du monde. La question n'est plus alors de savoir si c'est vrai, si cela s'est réellement produit, en un moment ou un autre de l'histoire, mais plutôt de savoir si cela ne se produit pas chaque jour, sous nos yeux, si cela ne se produira pas encore et toujours, à chaque moment, dans tous les lieux, et si, dans ce cas, cet enfant, nous saurons le reconnaître pour...

La figure du père

La jeune femme s’appelle Corinne Albera. Elle habite avec son enfant à Castans, un village de la Montagne noire, département de l’Aude. Quatre jours par semaine, elle laisse son enfant à la garde d’une voisine et elle se rend à Mazamet où elle est employée à la bibliothèque municipale. Elle fait le trajet en autobus. Le trajet n’est pas long, à peine vingt-six kilomètres. Il y aurait la répétition des trajets en autobus, les visages des autres passagers, la vue des paysages ruraux derrière la vitre, les éclairages changeants de la campagne selon les heures du jour et les saisons, parfois la nuit. Le reste du temps, elle est associée à toutes les activités du village, agricoles, festives, domestiques, encore qu’elle vienne d’ailleurs, qu’elle n’ait pas l’accent du pays. Ici, s’intercale l' épisode du pré en pente , où s'organise un grand banquet au milieu de l'été, puis un bal, et où on voit que Corinne est très appréciée par les hommes du village comme par ceux qui viennent...

Un dimanche matin

Lucette n’est pas à Cannes, chez sa grand-mère comme c'est d’habitude dans les fins de semaine. Elle est avec sa mère chez le boucher de l’avenue Borriglione. Elles font la queue. Un grand soleil d’automne remplit le ciel, Noël approche. Puis, quand elles ressortent du magasin à la devanture peinte en rouge avec des carreaux de faïence blanche, un homme est là, sur le trottoir opposé, debout près d’une motocyclette d’un modèle sans âge, venu on ne sait d’où, ayant fait une longue route sur sa motocyclette, on imagine, le buste droit avec des gants et de grosses lunettes serrées sur la tête par une lanière en caoutchouc. Il les attend. Vieux, grand, vêtu d’une longue veste de cuir serrée à la taille par une ceinture qu’il a nouée parce qu’il en a perdu la boucle. Charbonneux de sourcils, l’ossature d’un ours mais le corps amaigri. Efflanqué comme on dit d’un cheval. Son regard et celui de Nora se rencontrent d’un trottoir à l’autre de l’avenue où passe le tramway. La lumière étincel...

Speak Low

Jean-Luc a décidé qu'il était trop vieux à présent pour sortir le soir. Il marche vaillamment le matin, il traverse la ville dans tous les sens, jusqu'à la mer, mais dès la nuit tombée, il ne trouve rien de plus agréable à faire que d'écouter de la musique en préparant son repas, puis de se coucher pour regarder des films sur sa tablette numérique, plusieurs films parfois au cours de la même nuit. Mais l'été a été long, accablant de chaleur, et quand l’automne est enfin venu et que Nora, sa jeune voisine du dessous lui a annoncé qu’elle reprenait son tour de chant à la Barque rouge, il lui a répondu que oui, un soir, il viendrait l'écouter. Nora est une jeune mère qui élève seule sa petite Lucette, mis à part les weekends où l’enfant est prise en charge par sa grand-mère qui l’emmène à Cannes où elle habite. Nora est caissière au supermarché Monoprix de Gorbella mais le weekend venu, elle se livre à sa vraie passion et à son vrai talent qui sont ceux d’une chanteus...