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Articles

Google Lens et la psychanalyse

Dans la salle d’attente d’un psychanalyste, il faut toujours qu’il y ait une fenêtre qui ouvre sur une cour, et que, dans cette cour, il y ait de beaux arbres que l’analysant, debout devant la fenêtre, cherche à identifier. Maintenant, avec Google Lens, c’est facile: il suffit de photographier les arbres en question puis de soumettre leurs photos à l’examen du robot: celui-ci ne manquera pas de les reconnaître et de vous donner leurs noms, tandis que, jusque là, des siècles pouvaient s’écouler sans que les mêmes arbres innommés cessent de hanter vos rêves. >  Version linéaire
Articles récents

Voir ni nommer

Philippe Jaccottet: “À travers l'heureux brouillard des amandiers, il n'est plus tout à fait sûr que ce soit la lumière que je vois s’épanouir, mais un vieux visage angoissé qu'il m'arrive de surprendre sous le mien, dans le miroir, avec étonnement” ( À travers un verger , 1975.) Dans une notice qu’il ajoute à son édition des Œuvres de Philippe Jaccottet, José-Flore Tappy oppose d'une façon qui me paraît très juste Francis Ponge à Philippe Jaccottet. Il indique: “... alors que Ponge, par sa pratique, vise les choses pour les atteindre — il veut voir les choses et ne voir qu'elles —, Jaccottet, quant à lui, vise les choses pour les traverser, pour voir à travers elles l'invisible que peut-être elles recèlent. Comme il l'écrira lui-même en rendant hommage à son aîné: ‘Ponge ne s'encombre pas d'invisible’, ‘ayant assez à faire du visible’ au point même qu'il se serait plutôt dressé, ‘parfois avec colère contre l'invisible’.”   Ce que je v...

Assignations de genre

Elles ont dit, Non, il fait trop froid, nous rentrons. Nous sommes au Canastel, au bas du boulevard Gambetta. Une heure plus tôt, nous avons quitté une surprise-partie qui se tenait dans une rue voisine. Nous étions trois garçons et nous avons réussi à nous extraire de cette surprise-partie en emmenant trois filles, celles-ci jugeaient comme nous que la musique était médiocre, nous n’avons pas eu de mal à les convaincre, et d’abord nous sommes allés boire un chocolat au Canastel où nous avons nos habitudes. Un glacier tout d'inox et de glaces. Et comme, après le Canastel, nous leur proposons d’aller marcher sur la Promenade des Anglais où la nuit est épaisse comme de l'encre et où il y a des bancs, elles ont dit non, qu’elles rentraient chez elles. Nous sommes en hiver, c’est vrai qu’il fait froid. Alors, elles sont parties et nous restons entre garçons. Le souvenir porte sur ce qui se passe ensuite, c’est-à-dire à peu près rien, que des ombres. Les filles rentrent chez elles. ...

Le discours de l'Autre

Cynthia dit, Les deux sœurs dont la plus jeune suce son pouce, ça vient du Grand sommeil , bien sûr, l'arrivée de Philip Marlowe chez les Sternwood. On devine qu'il va lui arriver des misères, à cette petite, mais aussi qu'à la différence de ce qui se passe chez Chandler, ce n'est peut-être pas l'aînée qui remportera la partie. La cadette n'est pas évidemment stupide, elle montre de vraies attentions à l'égard du comptable, même si, bien sûr, par ailleurs, le goût du jeu, une tendance hystérique à l'exhibitionnisme, à la nymphomanie, à toutes les formes d'addictions... Il devra se débrouiller avec tout ce fatras, notre comptable, dont on devine qu'il est son amoureux, même s'il ne le sait pas encore. Secundo, le costume loué dans la boutique d'un tailleur, quand il fait déjà nuit. Là, on est de toute évidence dans l'héritage de Eyes Wide Shut . Et on attend de voir la suite. Enfin, la flaque d'eau. Le point central ou fatidique o...

Iliazd Mirevelt

C'était une question qui se répétait de bouche à oreille parmi ceux qui connaissaient Iliazd Mirevelt, qui connaissaient son nom et ses entrepôts sur le port, en premier lieu ses employés. Ils se demandaient pourquoi celui-ci avait installé sa famille dans ce quartier et dans cette rue, alors que presque tous les gens comme lui, qui avaient réussi dans les affaires ou qui occupaient une place importante dans l’administration de la ville, vivaient sur les collines. L'été, la chaleur sur la ville basse devient difficilement supportable, et d’ailleurs de juillet à septembre la femme et les filles d’Iliazd Mirevelt ne restent pas à Murmur , elles s'exilent dans le nord du pays où on dit que le père de Karine Mirevelt possède un important domaine forestier.  La rue de Malte est située au cœur de la ville basse, dans le quartier commerçant. Elle est bordée par des magasins d’alimentation tenus par des familles venues d’ailleurs, qui gardent quelques atours de leurs costumes bario...

Une vieille femme

Sa mère lui a demandé d'acheter un sac de farine et une bouteille d'huile ou des œufs à l'épicerie voisine, et peut-être quelque chose d'autre à la droguerie ou à la mercerie. Elle lui a fait répéter trois ou quatre fois cette courte liste de produits qu'il devra lui rapporter, elle lui a donné l’argent pour les payer, et pour mener à bien cette mission qu'elle lui confie, il n'aura pas besoin de quitter le même trottoir où ils habitent, sur le boulevard Gambetta, juste au-dessous de la rue Vernier où il y a son école en face de son église. Il connaît bien les commerçants auxquels il devra s'adresser et ceux-ci le connaissent aussi, un bonhomme de six ou sept ans qui vient d'habitude avec sa mère et qui, cette fois, pour la première fois, se présente seul avec un porte-monnaie à fermoir métallique et son filet à provisions. Il s'agit d'une course de quelques minutes à peine dans un environnement qui lui est familier, où il ne court aucun dang...