“Monsieur Debord, comment s’est passée votre journée?” C'était la première question que me posait Gaïa, aussitôt que le contact visuel était établi entre nous. Et Gaïa attendait que je lui dise alors quelles étaient mes impressions, quelle était mon humeur, mais je devais découvrir bien vite qu’elle n’attendait nullement que je l’informe des événements qui s'étaient déroulés, que je lui révèle aucun détail matériel les concernant, car elle les savait mieux que moi. Je me sentais surveillé. Je me savais tout à la fois menacé et protégé, et la menace aussi bien que la protection prenaient la forme d’une surveillance dont je percevais les signes, à chaque instant, sans pouvoir deviner de quel côté ils parvenaient jusqu'à moi. À la fin d’une journée, j’aurais voulu savoir si tel drone qui avait voleté au-dessus de ma tête, si ce regard plus insistant que les autres que j’avais surpris, à tel moment, par-dessus l'épaule d’un passant, si telle brusque bousculade qui s'éta
La boutique du bouquiniste, je crois que je l’ai découverte très vite, sans doute le deuxième jour. C'était un antre minuscule prolongé par un sous-sol auquel on accédait par un escalier en bois. Le maigre espace était rempli partout, jusqu'aux plafonds, de livres d’occasion, rangés, empilés, oubliés dans le plus grand désordre. Il fallait se faufiler entre les piles. Sur les étagères, ils s’alignaient en plusieurs couches. Rechercher parmi eux un titre précis, ou qui pouvait seulement convenir à vos goûts littéraires, relevait de la gageure, mais il arrivait néanmoins que le hasard fît bien les choses. Le vieux libraire était en outre un homme charmant qui était capable de s’exprimer et même de lire dans plusieurs langues. Il était petit et maigre, le visage pâle, toujours vêtu d’une superposition de gilets tricotés et d’un pantalon trop large. Il avait instauré dans son commerce un principe de prix unique tout à fait remarquable. Ses livres étaient tous vendus au même prix de