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Un revenant

Nous sortions peu de cet appartement. L’été surtout, à cause de la chaleur qui écrasait les rues, à cause des bruits de violences qui s’entendaient sous nos fenêtres. La nuit, je quittais mon lit, je parcourais le couloir, je passais des portes dans une obscurité presque complète. Je me croyais dans une forêt. J’y faisais des rencontres. Une rivière, un pont, un moulin, des animaux, de fiers chevaliers, des fantômes. Avec le temps, je compris qu’eux aussi, de leur côté, me regardaient comme un fantôme. Tel chevalier se signait à ma vue. Je compris qu’il me prenait pour un ermite ayant perdu la raison et qui errait sans but. Je buvais l’eau de la rivière et mouillais mes cheveux, qui étaient longs à présent, qui pendaient sur mes épaules. Assis au pied d’un arbre, je mangeais des noisettes en causant avec un lapin ou un écureuil. Un couple de colombes parfois me faisait une visite. Priais-je encore? Il me semble que je répétais indéfiniment la même phrase très courte, je ne sais plus laquelle. Puis, quand le ciel pâlissait au-dessus des toits, je retournais me coucher, et dans le sommeil j’oubliais ces aventures.

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