Accéder au contenu principal

Autoportrait

Mes logeurs m’ont parlé du bal qui devait avoir lieu dans la salle des fêtes du village voisin. Il y avait un autobus pour m’y rendre et, une fois là-bas, il se trouverait bien quelqu’un pour me ramener en voiture. Les jeunes ici commencent à me connaître. Ils m’ont en sympathie. Mais, après être resté assez longtemps à écouter la musique et à regarder ceux qui dansaient, comme j’avais bu de la bière et mangé une assiette de frites, j’ai préféré rentrer à pied. Déjà je m’éloignais. La lumière du bal, les rires et la musique étaient derrière moi, et je ne sais pas dire s’ils sont restés dans ma tête ou si je les entends encore, maintenant que j’en suis à marcher sur ce chemin de campagne, dans la nuit où il pleut: une pluie fine et patiente comme on en connaît peu chez nous, quelquefois au printemps, mais qui est ici monnaie courante. Et l’expérience de cette marche dans l’obscurité d’une campagne où il pleut, avec ses ombres qui bougent, l’eau qui clapote sur mon parapluie et les aboiements d’un chien invisible dont il me serait néanmoins facile de dessiner la silhouette, debout dans la cour d’une ferme, le museau et les oreilles dressées, n’est-elle pas celle que j’avais imaginée il y a bien longtemps et qui m’a décidé à venir m’établir, pour quelques mois au moins, dans ce lointain pays?
D’où m’est venue cette idée? Je crois qu’elle date de l’enfance, d’un jour où j'étais malade, où j’avais de la fièvre, une grippe sans doute, et où, pendant tout un long après-midi où j'étais couché, avec ma mère qui tricotait à mon chevet, j’ai lu Le Grand Meaulnes.
Alors, j’ai su que le vrai pays était là-bas, et qu’un jour je devrais le rejoindre.



Commentaires

  1. Que c est beau ,si bien écrit …états d Âme d un si beau récit

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Projections du Grand Meaulnes

Augustin Meaulnes s’enfuit de l’école du village de Saint-Agathe en Sologne, où il est pensionnaire, au chapitre 4 de la première partie du roman. Nous sommes alors en décembre, quelques jours avant Noël. Et il y est de retour quatre jours plus tard, au chapitre 6 de la même partie. D’abord, il ne dit rien de son escapade. Puis, une nuit, vers le 15 février, il en fait le récit à son camarade François Seurel, le narrateur, qui est le fils du couple d’instituteurs. Et c’est ce récit que François nous rapporte, remplissant avec lui les 10 chapitres (8 à 17) qui suivent, et à l’issue desquels se clôt la première partie. Au début de ce récit (1.8), François prend soin de déclarer que son ami ne lui a pas raconté cette nuit-là tout ce qu’il lui était arrivé sur la route, mais qu’il y est revenu maintes fois par la suite. Et cette précaution me paraît de la plus haute importance, car elle est un indice. Elle s’ajoute pour donner une apparence de crédibilité à un récit qui par lui-même est in...

Vampire

Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain, elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs cannes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas su...

L'école de la langue

L'être parlant est soumis à l’ordre de la langue . Il l’est depuis son plus jeune âge et jusqu'à son dernier souffle. Et il l’est quel que soit son milieu social, son niveau de culture et son désir éventuel de “faire péter les règles”. À l’intérieur de cet ordre, il trouve sa liberté mais il n’est pas libre de s’en affranchir. Pour autant, s’il y est soumis depuis toujours, ce n’est pas depuis toujours qu’il en a conscience. Le petit enfant parle comme il respire, ce qui signifie que la langue qu’il parle et qu’il entend est pour lui un élément naturel, au même titre que l’air. Et il parle aussi comme il bouge ses bras et ses jambes, ce qui signifie qu’il a le sentiment que cette langue lui appartient aussi bien que son corps. Et il reste dans cette douce illusion jusqu'au moment de sa rencontre avec l'écrit. L'école a pour mission de ménager cette rencontre et de la nourrir. Les personnes qui nous gouvernent, et qui souvent sont fort instruites, peuvent décider que...