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Articles

Affichage des articles du janvier, 2025

Le verre de lait (5)

Depuis que Miguel Arroyo (le narrateur) faisait partie du Cercle, aucune action assassine n'avait été commise. Aucune action héroïque non plus. Denis Sandler et lui s'y étaient rencontrés dans leur jeune âge et, depuis lors, les dix membres du Cercle n'avaient eu à accomplir aucun exploit, seulement des surveillances discrètes, des démarches compliquées auprès d'administrations étrangères, des achats de tableaux dans des ventes publiques, des recherches de vieux livres chez les bouquinistes, la photo qu'il fallait prendre d'un couple installé à la terrasse du café Florian, place Saint Marc, des visites dans des zoos, d'autres dans cimetières, ainsi parfois que de menus larcins, des chapardages idiots, d'un foulard dans un vestiaire, ou, plus grave, d'une clarinette dans la loge d'un artiste, mais rien qui leur fît craindre d'y perdre la vie ou d'être mis en prison.  Ils s'étaient attendus à devoir accomplir des aventures romanesques. ...

Le verre de lait (4)

J'ai situé (incrusté) le glacier de Borges, où figure le verre de lait (si tant est que, dans les nouvelles de Borges, il existe bien, que je n'ai pas rêvé), dans un glacier que j'ai connu quand j'étais très jeune. Ne connaissant pas Buenos Aires, où est censé se situer le glacier de Borges, je l'ai incrusté à Nice, dans un endroit que je connaissais. Celui-ci se trouvait à l'angle de l'avenue du Maréchal Foch et de la rue de Lépante, à proximité du lycée Calmette qui était réservé aux jeunes filles, et j'aurais pu avoir rendez-vous alors avec l'une d'entre elles, mais je ne me souviens pas qu'il en ait été ainsi. Je crois y avoir été seul, et seulement un tout petit nombre de fois, deux ou trois peut-être, et peut-être une seule. Mais je devais en garder une forte impression. Le lieu était dépourvu de toute décoration. Pas de miroir. Des murs uniformément peints de la même couleur claire. Au sol, un carrelage lessivé. Quelques tables et leur...

Le verre de lait (3)

Le Cercle se compose de dix membres auxquels s'ajoutent le Maître, son Secrétaire et une femme. Il se réunit sur convocation dans les endroits les plus divers de Buenos Aires: des arrières-salles de cafés, des chantiers d'immeubles en construction, des garages. La première règle est le secret. L'existence du Cercle doit rester secrète, ce qui signifie qu'il ne faut jamais en parler à personne, jamais citer son nom, ne rien dire de ses activités, mais aussi ne jamais rien écrire qui le concerne, car, si vous veniez à mourir, des personnes extérieures au Cercle, en découvrant votre corps, pourraient découvrir vos papiers. Quel est le but de son action? Le Cercle travaille à l'harmonie universelle. Il lutte contre le Mal. Comment fonctionne-t-il? Lors de chaque réunion, l'un des membres rend compte de la mission dont il a été chargé à l'issue de la réunion précédente. Les autres l'écoutent et lui demandent des précisions en toute liberté, hormis celle d...

Le verre de lait (2)

On vous parle d'un verre de lait qui est servi dans un café, ou dans un glacier, ou dans une pasticceria , et aussitôt vous le situez dans un café ou dans une pasticceria que vous connaissez, où vous êtes entré peut-être une seule fois dans votre vie, il y a fort longtemps, que vous aviez oubliée mais dont la pasticceria du conte de Borges a ranimé le souvenir. Le matin (hier), nous buvions des cafés sur la plage de Laigueglia. Il y avait foule, encore que le ciel était couvert, qu'il faisait froid. Les enfants jouaient dans le sable, emmitouflés dans leurs manteaux, nous pouvions les surveiller depuis la terrasse du café, et je me disais que je passerais volontiers un hiver ici. Puis, nous avons traversé Alassio en voiture, et le boulevard était bordé d'orangers dont les feuillages étaient taillés en boule, dans le vert desquels les fruits contrastaient en orange comme des lampions. Et je disais à Baptiste qu'on ne pourrait pas imaginer un tel décor à Nice, mais que ...

Le verre de lait (1)

Il y a, chez Jorge Luis Borges, une scène que je ne perds de vue jamais bien longtemps. Je vais la décrire sans d'abord revenir au texte, sans seulement pouvoir dire dans laquelle des nouvelles de l'auteur elle figure, en me demandant même si elle ne revient pas dans plusieurs, ce que je chercherai à vérifier plus tard. Cette scène, la voici. Nous sommes à Buenos Aires un jour de grand soleil, où il fait chaud, probablement l'été. La narrateur retrouve un autre homme dans un glacier. Ils sont vieux, ils se tiennent assis dans l'ombre et ils ont une conversation au début de laquelle le narrateur se fait servir un grand verre de lait froid. Ce verre est devant lui, sur une petite table ronde, tandis qu'il parle, et son interlocuteur est en retrait, on le voit mal, ce qui ne l'empêche pas, pendant que l'autre parle, de regarder la rue. Voilà, c'est toute la scène. Elle est muette, on ne sait pas de quoi ils parlent. Ils se sont donné rendez-vous dans ce gla...