Cette nuit-là, quand Alejandro sort du motel, il voit la voiture de Dennis garée sur le parking, tous feux éteints, et aussitôt après il voit que deux personnes sont assises dans la clarté de l’habitacle, sur le banc de la station d’autobus. Alors, il se dirige vers elles et, d’assez loin, il reconnaît Daria et Dennis.
Il marche lentement dans leur direction, il n’est pas sûr de ne pas rêver, à chaque pas qu’il fait, il s’attend à ce que la vision se dissipe, ou que les deux humains soient remplacés tout à coup par deux corneilles, mais l’image au contraire se précise, c’est bien eux, assis sur ce banc comme deux collégiens qui se seraient retrouvés à la sortie des cours, un peu à l’écart des autres, pour mieux se parler, pour apprendre à se connaître. Et eux, de leur côté, ils le regardent approcher. Sans doute, l’ont-ils reconnu, car ils ne se lèvent pas mais ils sourient. Alors, Alejandro ne peut pas faire autrement que de sourire, lui aussi.
Dennis finit par se lever. Il dit: “Nous avions bon espoir de vous trouver ici, Monsieur Souvestre! Daria me disait: ‘Il va bientôt repartir sans que tu l’aies rencontré… Il s'intéresse à toi.'
— Elle vous aura dit que je vous guettais de loin, Monsieur…?
— Montgomery, Dennis Montgomery.
— On m'avait bien dit votre prénom…
— Mais pas mon nom… Cela ne m'étonne pas. Ils sont avares de renseignements. Il faut toujours qu’ils fassent des mystères. On ne les changera pas. Mais asseyez-vous un moment, et donnez-moi des nouvelles. Comment va Anna Maria?”
Sur le banc, il y a la place pour trois. Daria a enlevé le Stetson de Dennis, qui était posé sur le banc, et elle le garde à présent sur ses genoux, comme un chat. Dennis est assis au milieu d’eux. Alejandro s'étonne: “Vous connaissez Anna Maria?
— Oh, je ne l’ai rencontrée qu’une fois, c'était à Prague, à l’occasion d’un concert. Nous avions été invités au concert, après quoi nous avons marché dans le Staré Město, à la recherche d’un restaurant qu’on nous avait recommandé et que nous n’avons jamais trouvé. Nous avons fini dans une gargote, avec beaucoup de bière. Un taxi a dû nous ramener à l’hôtel. Anna Maria n’est pas quelqu'un qu’on oublie. Est-elle toujours aussi belle et aussi attentive?
— Ces adjectifs lui conviennent. Oui, toujours aussi belle et aussi attentive aux autres, à chacun. Mais avez-vous conscience que, de mon côté, je ne sais rien sur vous?
— Je m’en doute, en effet. Quand on a fait partie du Cercle, on sait comment il fonctionne. On connaît sa manie du secret…
— Vous l’avez donc quitté?
— Admettons que j’aie pris mes distances. Et puis, le Cercle de LA n’a jamais fonctionné aussi bien que le vôtre. Il comptait quelques truands notoires, raison pour laquelle on m’a laissé partir. Mais j’ai gardé des contacts, et, grâce à eux, je n’ignore pas que je suis surveillé. J’avais été prévenu de votre arrivée.”
Daria se penche en avant et elle tourne la tête pour s’adresser à Alejandro dont elle est séparée par son amoureux. Et elle dit: “Dennis ne fait rien de mal, vous savez? Il cultive des plantes, tout seul, dans son ranch entouré de coyotes. La nuit, on les entend. Je m’y suis habituée.”
Alejandro se penche, à son tour, pour mieux la voir, et il dit: “Mais peut-être ne veut-il pas que cela se sache?”
Dennis, entre les deux, s’esclaffe de rire. Il dit: “Mais non, Daria a raison, je n’ai aucune raison de le cacher. Je fais pousser des plantes grasses et je les vends à des collectionneurs.”
Daria rit à son tour et elle dit: “Ce qu’il ne veut pas que je dise, c’est qu’en plus des plantes, il élève des serpents. Et qu’il les vend aussi!”
La voûte étoilée était splendide au-dessus d’eux. Ils étaient maintenant tous les trois debout devant le banc. Daria et Dennis se tenaient enlacés. Au moment de les quitter, Alejandro a regardé le ciel et il a dit: “Vous croyez que nous aurons la pluie?
— Pas avant que soyez parti, a répondu Dennis, et pas avant des semaines sans doute. Les pompiers craignent des incendies. Ça sent le feu.”
Daria a tiré son amant par la main. Elle était toute ensommeillée mais elle a dit: ”Le feu marche avec nous!”
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