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Le verre de lait (2)

On vous parle d'un verre de lait qui est servi dans un café, ou dans un glacier, ou dans une pasticceria, et aussitôt vous le situez dans un café ou dans une pasticceria que vous connaissez, où vous êtes entré peut-être une seule fois dans votre vie, il y a fort longtemps, que vous aviez oubliée mais dont la pasticceria du conte de Borges a ranimé le souvenir.

Le matin (hier), nous buvions des cafés sur la plage de Laigueglia. Il y avait foule, encore que le ciel était couvert, qu'il faisait froid. Les enfants jouaient dans le sable, emmitouflés dans leurs manteaux, nous pouvions les surveiller depuis la terrasse du café, et je me disais que je passerais volontiers un hiver ici. Puis, nous avons traversé Alassio en voiture, et le boulevard était bordé d'orangers dont les feuillages étaient taillés en boule, dans le vert desquels les fruits contrastaient en orange comme des lampions. Et je disais à Baptiste qu'on ne pourrait pas imaginer un tel décor à Nice, mais que oui, dès qu'on arrive à Monaco puis à Menton, on voit apparaître cette esthétique italienne, un peu rigide et froide, un peu figée, comme du sucre glace sur les gâteaux, dans laquelle je situe le glacier et son verre de lait.

Ce matin, Giuliano, nous explique qu'il a entrepris une recherche sur le projet de constitution de la Corse de Jean-Jacques Rousseau (1768) qui aurait précédé de quelques années un projet de constitution de la Ligurie, et il ajoute que l'un et l'autre textes, dans leur article premier, contiennent une référence au bonheur. Il explique qu'il y a, dans l'esprit de nos démocraties occidentales, l'idée d'un droit au bonheur, et presque un devoir d'être heureux ensemble, autant que possible, qui serait contestée et menacée aujourd'hui par la double influence de Poutine et de Trump, mais qui serait rejetée aussi par beaucoup d'habitants de nos propres pays qui y voient quelque chose de trop féminin, de trop compliqué.

Giuliano tient avec sa femme Monica un petit restaurant en dépendance duquel il a aménagé une salle qu'il a intitulée Museo di Arti Primarie. La salle du restaurant comme celle du musée sont remplies de livres et d'instruments de musique ramenés de différents pays. Giuliano a mon âge. Il anime ce lieu dans un village perdu dans les collines, en même temps qu'il reste un collectionneur d'arts africains, mais aussi une philosophe, un libre penseur, attaché aux Lumières. Baptiste aime dialoguer avec lui, il le fait dans un italien dont la fluidité me surprend toujours, et je suis leurs conversations en me tenant un peu en retrait, et non sans leur faire répéter quelquefois une phrase que je n'ai pas bien comprise. 

Végétation d'hiver. Bouquets de roseaux. Oliviers, orangers et cactus. Figuiers dénudés où les enfants grimpent et ensuite, à leur appel, il faut leur tendre les bras pour qu'ils en redescendent. Et, en arrière-plan, très loin et sourd, le bruit d'un moteur.

Les larges traînées de filets qui couvrent d'orange le vert de l'herbe, sur les terrasses d'oliviers. Le soleil qui filtre sous les branches.


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